La communion des saints expliquée aux enfants

Communion veut dire union commune de plusieurs personnes. La communion des saints est l’union de tous les baptisés qui sont en état de grâce (qui n’ont pas fait de péché mortel), que l’on appelle saints parce qu’ils sont tous appelés à se sanctifier pour aller au Ciel. Parmi ces saints, on compte trois grands groupes différents– les saints du Ciel (la sainte Vierge, les anges, les saints et les saintes qui ont déjà gagné le Ciel, c’est l’Église triomphante)

– les âmes du Purgatoire (qui attendent le Ciel en se purifiant au Purgatoire, c’est l’Église souffrante)

– les âmes de la terre (qui luttent encore sur la terre pour mériter le Ciel, et dont nous faisons partie, c’est l’Église militante).

L’ensemble de ces âmes forme une grande famille (appelée le corps mystique de l’Église) dont Jésus-Christ est le chef (la tête). Comme dans toutes les familles, ces âmes ont une grande union entre elles. Cette union n’est pas celle des corps, mais celle des âmes, elle est donc une union spirituelle.

Examinons maintenant une famille dans laquelle il y a plusieurs personnes. Je remarque un grand-père et une grand-mère, tous deux sont très vieux et ne peuvent plus travailler, ils sont infirmes et ont besoin de secours. Ces deux membres de la famille sont donc impuissants à s’aider entre eux et à aider les autres.

Puis, voici les enfants : de jolies petites têtes un peu ébouriffées, qui vont à l’école. Ces enfants cherchent à devenir de petits savants, mais ils ne gagnent pas encore leur vie. Ils espèrent gagner de l’argent un jour mais sont encore à la charge de leurs parents.

Enfin il y a la mère, et le père qui a un bon métier et gagne de l’argent. Cet argent sert à faire vivre la famille tout entière, chacun en profite, et il en reste même une certaine somme qui constitue un fond de réserve : c’est la richesse de la famille.

Or, la grande famille de Jésus-Christ a amassé un trésor de richesses comme la famille de la terre. Vous allez voir comment.

Qui est le grand chef de l’Église ? C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Qu’a-t-il fait toute sa vie ? Il a mérité. Il a amassé un immense trésor de mérites infinis ou de richesses spirituelles. Il n’en avait pas besoin pour Lui, puisqu’Il est Dieu. Il a donc mis de côté toutes ses richesses pour les laisser aux membres de la famille.

La Sainte Vierge et les saints ont eu aussi une vie pleine de mérites infinis, pleine de richesses spirituelles, car vous le savez, mes enfants, quand on fait une bonne action, un sacrifice, cette bonne action ou ce sacrifice se change en mérite ou en richesse spirituelle. Or, la vie de la Sainte Vierge et celle des saints a été une vie si pleine de mérites que vous imaginez combien le trésor de la famille a augmenté encore ! Ces mérites peuvent servir pour nos péchés puisque la Sainte Vierge et les saints les ont abandonnés au trésor commun.

Et nous-mêmes, mes enfants, quand nous faisons de bonnes prières, de bonnes actions, des sacrifices, nous gagnons des richesses spirituelles. Elles peuvent servir à payer pour réparer nos péchés, mais si nous n’avons pas trop de dettes contractées par nos fautes, cette richesse est à notre disposition « en réserve ».

Voyons maintenant comment nous pouvons communiquer entre nous. Dans la famille de la terre nous entretenons des relations en nous parlant, en nous écrivant ou en nous rendant des visites. Eh bien, nous pouvons également parler aux saints et correspondre avec eux par la prière. De même que par la parole, nous demandons aux membres de notre famille de la terre de nous aider, de même aussi nous exposons nos besoins aux saints du Ciel, et ils nous aident en obtenant de Dieu, pour nous, toutes sortes de grâces. Nous pouvons même leur rendre visite dans leurs sanctuaires. Avec les âmes du Purgatoire, nous pouvons aussi avoir des relations suivies. Mais ces pauvres âmes sont impuissantes pour elles-mêmes. Dans la famille terrestre, le grand père et la grand-mère paralysés ont besoin d’aide. Il en est de même pour les âmes du Purgatoire qui ont grand besoin de notre secours. Nous pouvons les aider à sortir du Purgatoire où elles souffrent en payant pour elles les réparations de leurs péchés et l’insuffisance de leurs sacrifices et bonnes œuvres. Nous prions, nous faisons des sacrifices, de bonnes communions, nous faisons dire des messes pour elles, et tout cela sert à les délivrer en payant leurs dettes. En retour, quand ces âmes sont enfin dans le Ciel, elles nous remercient en priant Dieu pour nous, car tous les membres de la grande famille se soutiennent.

Enfin, voyons comment nous pouvons établir entre nous, fidèles de la terre, des relations spirituelles.

Quand, dans une famille, quelqu’un a beaucoup d’argent, il peut, s’il est bon, en donner à ses frères, à ses parents. Avec la richesse qu’il possède, il fait du bien. De la même façon, nous pouvons donner aux âmes que nous aimons avec la richesse que le Bon Dieu nous accorde en paiement de nos bonnes œuvres, de nos prières, et de nos sacrifices. Si nous prions pour quelqu’un, notre prière retombe sur celui pour qui nous prions. Si nous faisons un sacrifice et l’offrons au Bon Dieu pour telle ou telle personne, c’est une façon de mériter pour elle. Puis le Bon Dieu, en bon père de famille, rassemble les mérites de tous et en fait profiter tous ses enfants. Ainsi chacun tire profit des prières et des mérites des autres.

 

Vous voyez combien le Bon Dieu nous aime et nous voudrait tous auprès de Lui au Paradis céleste en nous permettant de payer nos dettes et celles d’autres âmes ! Alors, promettez-vous de gagner beaucoup de mérites en priant et en vous sacrifiant pour remplir votre réserve de trésor, et la distribuer aux pauvres pécheurs ? Penserez-vous aux âmes qui souffrent au Purgatoire, aux malades, aux prisonniers, aux malheureux, mais aussi au Pape, aux prêtres, aux missionnaires tout seuls dans des pays lointains, et aux moines et religieuses qui prient et se sacrifient en secret pour nous  dans leurs monastères, promettez-vous de beaucoup donner aux âmes pour l’amour de Jésus ? Car, je vous livre peut-être ici un secret, chers petits amis, mais à vous le Bon Dieu donne beaucoup de richesses si vous les lui demandez, parce qu’Il aime et écoute les enfants. Alors, profitez de ce petit privilège… Et n’oubliez surtout pas votre papa et votre maman !

 

   Sophie de Lédinghen

 

Les mesures des enfants d’honneur pour un cortège réussi – Les mesures pour adultes

 

Chères couturières,

Qui n’a pas expérimenté le casse-tête de la prise de mesures des enfants, tant pour la pauvre maman qui ne sait pas si la ceinture de son fils sera cousue trop serrée ou si le pantalon ne tiendra pas, que pour la couturière qui ne sait pas en réalité ce que les mamans ont réellement mesuré… !

Nous vous proposons dans ce numéro une fiche technique qui pourra servir pour les cortèges de mariage de votre entourage ou pour toute transmission de mesures à une couturière !

Nous doublons cette fiche d’une explication concernant les mesures adultes : termes, et points de repères exacts pour vous permettre de mieux comprendre les patrons, ou faire faire des tenues à la bonne taille. Pour les adultes, l’idéal reste que la couturière prenne elle-même ses mesures sur la personne mais ce n’est pas toujours possible…

Bonne lecture et à vos mètres rubans pour arrêter les déconvenues après le coup de ciseaux décisif !

Atelier couture

http://pheon.ovh/wp-content/uploads/2024/03/2024_03_Prises-de-mesures_fiche-site.pdf

 

De Pagnol à TikTok

« Le grand-père était provençal. Quand il était jeune, il chantait bellement des Noëls et plus souvent des sérénades. Il riait volontiers, et le soir, pendant la courte veillée au coin du feu, il savait raconter des histoires d’amour », écrivait Marcel Pagnol.

Le petit-fils était parisien. Il était champion sur Fifa, et le soir en rentrant, après avoir pris un paquet de chips dans le placard et être monté dans sa chambre, il savait faire des vidéos trop classes sur TikTok.

Tel est le saut générationnel entre le grand-père de Marcel Pagnol et son petit-fils. Que signifient ces deux phrases assez banales, mais qui résument en quelque sorte l’évolution de nos modes de vie ?

Ce qui saute aux yeux dans les romans naturalistes du début du XXe siècle, de même que dans les films réalisés jusque dans les années 60, c’est le lien social qui rassemblait et unissait les voisins, les familles, les habitants d’un même quartier, immeuble, village. On faisait société.

Loin de moi l’idée de vouloir ressusciter le passé, poussé par la nostalgie d’une bonne ambiance de quartier. Mais mon propos se veut plus philosophique. « L’homme, nous dit Aristote, – et cela n’a pas changé depuis – est un animal sociable raisonnable.» Il a donc besoin de vivre en société pour correspondre à sa nature et trouver le bonheur.

Or aujourd’hui, pour de multiples raisons, dans notre monde individualiste, ce lien social s’est distendu jusqu’à parfois disparaître. Nos compatriotes sont rongés par la solitude et par l’isolement derrière leurs écrans.

Et nous-même, connaissons-nous notre voisin ?

Sous prétexte que nos voisins et notre entourage sont trop différents, nous avons tendance à nous replier dans notre cercle de relations habituelles en nous disant que les autres ne peuvent rien nous apporter, que cela ne sert à rien de perdre du temps à discuter avec eux.

Et ce faisant, tout en nous plaignant de la dissolution de la société, nous avons notre part de responsabilité.

Si nous attendons que nos proches correspondent à notre idéal pour commencer à leur parler, alors restons tranquilles, il n’y a pas d’urgence !

Mais si au contraire, nous cherchons à participer au bien commun, à rendre service dans les petites sociétés dans lesquelles nous sommes naturellement implantés, entreprise, village, quartier, immeuble, famille, paroisse, quelle que soit la conformité de leurs membres avec notre idéal, alors nous aurons contribué à notre place à ralentir le délitement de la société, de la cité. En allant ainsi au contact de notre prochain, nous avons le moyen de semer facilement des graines de bonheur.

Ceci sans compter les bénéfices insoupçonnés que nous pourrons tirer pour nous-même : découverte de nouvelles personnes, entraide en cas de coup dur, etc.

D’un point de vue plus spirituel, c’est aussi montrer l’exemple et rayonner en tant que catholique. Ce sera l’occasion de prodiguer les œuvres de miséricorde temporelles et spirituelles et qui sait, de ramener peut-être des âmes à Dieu. Et ce faisant, comme un bienfait n’est jamais perdu dans ce monde ni dans l’autre, de se préparer des intercesseurs au purgatoire ou au paradis.

Alors, au lieu de nous lamenter sur les forums de la déliquescence de la société, cherchons à ancrer dans la réalité, auprès de notre entourage, les petites vertus chrétiennes. C’est non seulement un devoir politique, mais aussi une application du commandement de Dieu : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même1,» et nous découvrirons en sus comment « c’est en donnant qu’on reçoit2 » !

 Antoine

1 Second commandement de Dieu

2 Extrait de la prière de saint François d’Assise

 

Ils comptent sur nous !

Depuis l’été, les mauvaises nouvelles s’enchaînent : chute du gouvernement, émeutes révolutionnaires, capitulation des autorités devant l’ennemi, défaites multiples, absence de bonnes nouvelles, rumeurs…L’invasion continue, les habitants du village sont profondément découragés. À leur bon prêtre qui veut les faire prier le chapelet chaque jour, ils répondent : « à quoi cela sert-il ? Pourquoi continuer à allumer les cierges pour la prière ? Nous sommes abandonnés, isolés, perdus… ».

Mais ce 17 janvier 1871, Notre-Dame de l’Espérance apparaît à Pontmain : « Priez mes enfants, mon Fils se laisse toucher, il vous exaucera dans peu de temps ». La nuit même, plusieurs témoignages d’officiers et soldats allemands diront avoir vu dans le ciel, une femme les chasser. La nuit même, les Prussiens battent en retraite sans attendre une hypothétique offensive française. La région est sauvée. Les sacrifices de quelques héros comme les zouaves pontificaux de Sonis (2 septembre 1870) et la prière persévérante des fidèles ont été utiles. Quelles leçons en tirer ? En 2024, à la vue de certains évènements du monde, ne sommes-nous pas tentés par le découragement comme les habitants de Pontmain en 1871 ?

 

Croire en l’Espérance !

« Tout désespoir en politique est une sottise absolue » disait Maurras. Il en est de même dans les domaines familiaux, spirituels ou professionnels. Vous connaissez probablement l’histoire du « meilleur outil du diable1 » ? Le découragement… N’oublions-nous pas parfois que notre Dieu est un Dieu d’Amour qui s’intéresse à nous comme il nourrit les oiseaux du ciel et habille les lys des champs ? Il nous a donné son Fils aux mérites infinis, sa très sainte Mère pour être notre mère attentive à tout instant, et toute la cohorte des saints de tous les temps. Il a « inventé » la Communion des Saints, si réconfortante et si efficace où chacun peut compter sur les autres. Croyons et nous serons soutenus !

Ils ont besoin de nous !

Ne soyons pas égoïstes : malgré nos faiblesses, nous avons aussi le devoir et le pouvoir de soulager les autres. Lors d’une des apparitions de la rue du Bac à Paris2, des mains ouvertes de la Sainte Vierge sortent des rayons d’un éclat ravissant. Elle explique : « Ces rayons sont le symbole des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent. » Certains rayons cependant restent sombres : « ce sont les grâces que personne ne demande… »

Quelle tristesse si nous ratons ce potentiel, mais quel réconfort de savoir que de multiples grâces sont encore disponibles sur simple demande ! Nous, membres de l’Église Militante, sommes un maillon indispensable de la distribution des grâces sur les vivants et sur les morts. Qui les demandera si nous n’y pensons pas nous-mêmes ? Notre prière compte pour les autres. Ravivons donc en famille, notre conscience de la communion des saints. Développons la qualité de notre amour de charité et la régularité de nos actes et de nos prières, plus que leur quantité, afin de porter du fruit. C’est dans les petites choses du quotidien, portées par un amour profond, que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a acquis ces mérites qui lui ont valu le titre de Patronne des Missions.

Au-delà du quotidien, puisons dans les trésors de l’Église, notamment par notre participation fréquente à la messe. Nous y sommes explicitement associés au prêtre en particulier par ces paroles qui suivent la consécration « c’est pourquoi, nous Vos serviteurs (le prêtre), et avec nous Votre peuple saint, nous présentons à votre glorieuse Majesté cette offrande… ». Baptisés en état de grâce, nous sommes de ce peuple saint. Notre participation à la messe nous offre une possibilité de répandre les mérites infinis de Notre Seigneur sur ceux qui en ont besoin.                              

Tout commence en famille

C’est dans la famille, notre église domestique, que nous pouvons déjà faire exister une petite communion des saints : entre nous, vis-à-vis de nos parents âgés, des cousins qui en ont besoin, des défunts pour lesquels nous prions, ou avec ceux dont nous invoquons l’aide… Commençons par l’attention aux besoins de chacun : contribuer au fonctionnement de la maison, prendre des nouvelles et en donner, visiter les personnes seules ou tristes, proposer notre aide sans qu’on nous le demande : accueil d’amis de passage, bricolage ou ménage, don de vêtements ou jouets dont nous n’avons plus l’usage (et en bon état), disponibilité pour des conseils ou même des distractions, voire une aide financière dans les coups durs si nous le pouvons. Donnons aussi des intentions concrètes dans nos prières avec les enfants et dans le chapelet. Nommer les malades ou les défunts de nos familles rend concrets et motivants les sacrifices et les prières.

La communion des saints s’incarne aussi lorsque nous sommes des artisans de paix dans notre famille. D’abord entre enfants, entre époux, entre nous et nos enfants. Ensuite avec nos familles élargies autant que possible. Voyons le bien supérieur que représente l’unité de la famille, adaptons-nous au tempérament de chacun pour construire un cadre familial agréable et propice à la recherche du Royaume de Dieu et de sa justice. Gardons l’espérance dans cette communion des saints si la paix ne nous est pas donnée partout ou toujours… L’artisan de paix ne réussit pas toujours tout ce qu’il fait, mais la grâce de Dieu compensera ses imperfections involontaires.

Par ces exemples vécus en famille, nos enfants comprendront mieux la communion des saints, et pourront eux-mêmes y participer. Lisons et faisons lire les histoires de la Croisade Eucharistique pour réaliser les trésors mérités par des enfants grâce à leurs sacrifices ou leurs prières. Les enfants touchent le cœur de Dieu et de sa Mère de manière quasiment irrésistible. 

Tout restaurer dans le Christ

La famille animée de cet esprit chrétien, cellule de base de la société, est appelée à être le levain dans les sociétés qui l’entourent. Elle étendra sa sollicitude autour d’elle, pour soutenir les autres catholiques, et rayonner afin d’étendre le royaume de Dieu auprès de ceux qui ne le servent pas encore.

« Aujourd’hui, plus que jamais, ils (les laïcs) doivent prêter cette collaboration avec d’autant plus de ferveur, pour l’édification du corps du Christ, dans toutes les formes d’apostolat, en particulier quand il s’agit de faire pénétrer l’esprit chrétien dans toute la vie familiale, sociale, économique et politique3 ».

Alors, à notre mort, le Seigneur nous appellera : « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître », et comme sainte Thérèse, nous pourrons passer notre ciel à continuer à faire du bien sur cette terre.

Hervé Lepère 

1 Voir l’histoire ci-après.

2 27 novembre 1830.

3 Pie XII, allocution au 2° congrès de l’apostolat des laïcs, 5 octobre 1957.

 

Les outils du diable :

Il y avait une annonce que le diable allait cesser ses affaires et offrir ses outils à quiconque voudrait en payer le prix. Le jour de la vente, les outils étaient exposés d’une manière attrayante : malice, haine, envie, jalousie, sensualité, fourberie…tous les instruments du mal étaient là, chacun marqué de son prix.

Séparé du reste se trouvait un outil en apparence inoffensif, même usé, dont le prix était supérieur à tous les autres. Quelqu’un demanda au diable ce que c’était :

Ça ! C’est le découragement ! fut la réponse.

– Eh bien ! Pourquoi l’avez-vous marqué aussi cher ?

– Parce que, répondit le diable, il m’est plus utile que n’importe quel autre. Avec ça, je sais entrer dans n’importe quel homme et une fois à l’intérieur, je puis le manœuvrer de la manière qui me convient le mieux. Cet outil est très usagé parce que je l’emploie avec presque tout le monde et très peu de gens savent qu’il m’appartient.

Il est superflu d’ajouter que le prix fixé par le diable pour le découragement était si élevé que l’instrument n’a jamais été vendu. Le diable en est toujours possesseur, et il continue à l’utiliser…

 

 

 

Sur les balcons du ciel…

Ma chère Bertille,

 Tu me disais hier combien le devoir d’état te semble lourd parfois, combien la vie quotidienne d’un catholique peut sembler austère et combien la conquête du ciel peut être ardue. Tu préfèrerais encore un vrai combat franc et net plutôt que cette vigilance perpétuelle qu’il faut avoir contre le démon qui aimerait te voir faire des compromis et des concessions à l’esprit du monde !

Il est bien vrai que si parfois le démon attaque directement et violemment les âmes, il aime aussi mener une guerre d’usure… Il fait miroiter à nos yeux la vie plus facile de ceux qui ont choisi une voie moins austère que la nôtre ; il nous allèche par le bien que l’on pourrait faire si nous rencontrions telle personne, l’apostolat, le rayonnement que l’on pourrait avoir si nous faisions telle concession… Il est très habile et sait nous prendre par nos faiblesses.

Rassure-toi ! Personne n’est à l’abri de ces tentations, cependant n’oublie jamais que du haut des balcons du ciel, des âmes qui nous aiment et veulent notre salut nous regardent et veillent sur nous ! Cette pensée pleine d’espérance nous préserve du découragement qui nous atteint certains jours quand le devoir d’état nous semble si lourd… En effet, le soir du Vendredi Saint, il n’est pas difficile à genoux devant une croix de mettre sa tête dans ses mains et, l’âme emplie d’un grand élan d’amour, de choisir de suivre le Christ sur le chemin du Golgotha, mais d’un vendredi Saint à l’autre, il est 365 jours où la croix prend l’aspect de toutes les banalités quotidiennes : un coup d’épingle par-ci, une parole vive par-là, une petite méchanceté, une humiliation, un contretemps, une bonne intention mal accueillie, et surtout la monotonie déconcertante et épuisante du devoir d’état si facile et si ennuyeux… Et c’est juste à ce moment de lassitude que la tentation d’une petite concession par rapport à la ligne de conduite fixée vient se montrer sous son meilleur jour…

C’est alors que sonne la minute du choix : que faire ? Céder une, puis deux fois, aux sirènes tentatrices ou résister avec fermeté en invoquant ces héros qui nous ont précédés et qui nous regardent de là-haut avec tant de charité ?

Beaucoup tombent et ne se relèvent pas. Beaucoup préfèrent après quelques échecs renoncer pour toujours à leur idéal de peur des hontes successives qui les attendent à chaque reniement partiel : c’est si douloureux, si humiliant de constater sa faiblesse… Le patineur novice et susceptible enlèvera ses patins et renoncera à ce sport de peur de faire rire de ses chutes maladroites ; il pourra alors se mettre sur le bord de la glace, les mains dans les poches, et rire des culbutes des autres. Son amour-propre sera sauf, mais il aura renoncé à son rêve. Le « à quoi bon » est souvent l’excuse du faible qui pleure mais c’est souvent aussi de l’orgueil dissimulé, un accord avec la médiocrité parce qu’on avait aimé l’idéal et que celui-ci au lieu de venir à notre rencontre en nous épargnant les difficultés nous a montré la Croix… Mais si malheureusement beaucoup de nos contemporains tombent, d’autres se relèvent ! Le sage pèche 7 fois le jour, dit l’Ecriture, et on oublie de dire qu’il se relève 7 fois aussi…

Ceux qui savent reprendre courageusement leur route sont nos maîtres en expérience ; ils ont le secret de la persévérance. Où la puisent-ils ? D’abord dans la fermeté de leur idéal, mais l’amour fort, est victorieux des obstacles. Et si nous n’aimons pas, Dieu nous ne trouvons pas l’énergie nécessaire pour continuer la route. C’est le grand cercle vital : il faut aimer pour agir et il faut agir pour aimer. Nous faisons des actes d’amour pour aimer Dieu et nous aimons Dieu dans la mesure des actes d’amour que nous faisons pour lui. L’idéal dans l’âme ne suffit pas : il rendait facile les victoires au début, puis l’âme s’est fatiguée et la monotonie de l’effort l’a voilé…

Où trouver la force dans ces minutes-là ?  En nous-mêmes ? Mais quand je m’appuie sur moi-même, je m’appuie sur une faiblesse bien fragile et je ne dois pas m’étonner de mes chutes ! Pourquoi oublier le grand mot prononcé par le Seigneur Jésus dans les suprêmes épanchements de son cœur après la Cène : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » ? Se sanctifier est une œuvre surnaturelle et seul, le Christ vivant peut nous donner les grâces nécessaires, Lui qui en est la source.

Invoquons ceux qui nous ont précédés, ceux qui gravirent le sommet de l’héroïsme en prouvant ainsi leur grandeur ! Grandeur morale de celui qui sait où trouver la force pour ne pas faiblir. Grandeur de l’être qui ne voulant pas se dédire, reste fidèle malgré tout à la tâche entreprise, à l’idéal cherché, et ne prétexte point, pour se libérer du fardeau, la monotonie douloureuse, les déceptions cruelles, les appels tentateurs de la vie facile, les ricanements des sceptiques. Conscience lumineuse et claire, lavée de pleurs et parfois de sang, purifiée par le sacrifice, voilà la seule vraie grandeur des martyrs, des saints, des héros obscurs, des Vendéens mourant pour leur foi au creux des bocages, des petites Sœurs cachées dans leur cloître, des missionnaires tombant à la conquête des âmes…

Les routes sont nombreuses mais le but identique et toute vraie grandeur se résume en la manière splendide dont on s’arrache à l’égoïsme pour se donner à plus grand que soi : au devoir, à l’idéal, à Dieu ! Sans nous laisser leurrer par les illusions trompeuses des fausses réputations que le monde accorde, marchons dans la vérité, sans compromis faciles, avec une conscience du devoir sans cesse plus éclairée et un désir sans cesse raffermi de rejoindre les héros qui nous ont précédés.

Et le jour où, laissant notre corps couché sous la terre silencieuse d’un cimetière, nous verrons nos yeux s’ouvrir à la vérité unique, nous retrouverons ceux qui nous ont précédés sur les balcons du ciel…

 « Permettez, sainte Vierge Marie, que je sois toute ma vie le serviteur de Dieu, et sans hésitation, le défenseur de toutes les causes saintes, à l’instar de mes ancêtres1 ! »

C’est la prière que je t’engage à réciter avec moi chaque matin car elle aide à être fidèle dans tous les combats !

Je t’embrasse affectueusement et te souhaite un saint Carême.

Anne

1 Gérard de Cathelineau

 

Le vœu à saint Yves

 Théodore Botrel (1868 Dinan – 1925 Pont-Aven)

 

Une complainte de piété, pour illustrer le thème de ce numéro.

Le recours à Saint Yves obtient la grâce du retour du marin auprès de sa mère veuve.

 

Un jour sur un gros navire
Vire au vent, vire, vire,
La veuve embarqua son gars
Le marin ne revint pas.

Fit vœu de faire un navire
Vire au vent, vire, vire,
De l’offrir à saint Yvon
Patron de ceux qui s’en vont.

Pour la coque du navire
Vire au vent, vire, vire,
La pauvre vieille aux abois
A pris son sabot de bois.

Pour le grand mât du navire

Vire au vent, vire, vire,
La misaine et l’artimon
A pris trois branches d’ajonc.

Pour les vergues du navire
Vire au vent, vire, vire,
A rompu tout aussitôt
Ses aiguilles de tricot.

Pour les voiles du navire
Vire au vent, vire, vire,
Tailla le beau tablier
Qu’elle eut pour se marier.

Pour les agrès du navire
Vire au vent, vire, vire,
Les étais et les haubans
Coupa ses beaux cheveux blancs.


Pour achever le navire
Vire au vent, vire, vire,
Le baptisa de ses pleurs
Puis y mit les trois couleurs.

Pour porter chance au navire
Vire au vent, vire, vire,
Elle planta sur l’avant
Sa petite croix d’argent.

Enfin prenant le navire
Vire au vent, vire, vire,

S’en fut le porter nu-pieds
À saint Yves de Tréguier.

Pour la veuve et le navire
Vire au vent, vire, vire,

Saint Yvon tant pria Dieu
Qu’Il lui ramena son fieu.

Le vœu à Saint Yves • Robert Perrin (spotify.com)

(Version assez « vieillotte » mais suffisante pour mémoriser la mélodie.

 Attention, certains couplets ont été supprimés, ce qui est dommage).

 

Ciel et terre

 Le culte rendu à nos défunts ne fait-il partie que d’une subsistance d’habitudes de savoir-vivre ancien ?

Offrir des messes, entretenir et fleurir nos cimetières, gagner des indulgences, faire célébrer un trentain grégorien, prier quotidiennement pour nos défunts, tout cela n’est-il qu’ancienne tradition, piété filiale surannée, réminiscence d’un culte des ancêtres d’un autre temps ?

Ou n’y aurait-il pas un lien plus mystérieux entre l’au-delà et nous, entre l’Eglise triomphante et souffrante et nous, qui formons l’Eglise militante de la terre ?

Ces âmes des défunts, même si elles sont invisibles, ne sont-elles pas omniprésentes ? Et elles qui possèdent la Vraie Vie, n’ont-elles pas maintes occasions de se rappeler à nous et de nous aider dans notre quotidien ?

Si c’est un devoir de charité pour nous de gagner des mérites et de prier pour elles, de leur côté, comment ne nous aideraient-elles pas dans nos tâches matérielles, et surtout dans l’acquisition des vertus, qui nous permettra de les rejoindre dans leur béatitude céleste ?

Ne retrouve-t-on pas la piété de tel grand-parent dans la fulgurante conversion de certains de ses petits-enfants ? De quelle protection discrète ne jouissons-nous pas grâce aux mérites acquis durant leur vie par certains de nos proches ou certaines âmes du Purgatoire pour lesquelles nous avons prié, et qui intercèdent pour nous ? Quelle grâce de discernement, quelles inspirations, quelle idée soufflée à l’oreille, quelle rencontre providentielle comme inspirée par nos Anciens, ne viennent-elles pas bouleverser notre esprit rationnel et notre incrédulité ?

Nous en avons tous fait l’expérience et savons bien que, si nous aidons par nos prières une âme à sortir du Purgatoire, nous nous amassons un trésor dans le Ciel, mais aussi bien, des grâces dès cette vie terrestre.

Alors pourquoi hésiter à transmettre et renouveler ces anciennes habitudes de piété, si vivaces en terre chrétienne et ne pas demander leur aide à nos amis du Ciel, dans tous les moments délicats de notre vie ? Ce sera ainsi rétablir ce grand dialogue des générations, au-delà du temps et des lieux, et rentrer de plain-pied dans le mystère divin de la Communion des Saints.

 

Placements abusifs d’enfants :

une justice sous influence

Christine Cerrada, éditions Michalon, 2023

La rédaction de notre revue a souhaité proposer à ses lecteurs une recension de l’ouvrage de Christine Cerrada sur les placements abusifs d’enfants. Cette avocate qui milite dans l’association L’Enfance au cœur y mène une enquête sans concessions sur le système français de protection de l’enfance. Dans ce livre qui aurait mérité une plus grande audience, l’auteur met au jour les dysfonctionnements en s’appuyant sur une dizaine d’exemples concrets qui laissent perplexe sur la justice des mineurs et la compétence des professionnels de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE qui a remplacé la DDASS). Ceux-ci vont privilégier, dans leur mission d’assistance éducative, le placement des enfants à l’extérieur de la famille, le plus souvent dans des centres spécialisés.   

Les moyens dégagés par les pouvoirs publics pour la protection de l’enfance sont considérables : 8,4 milliards d’euros en 2018, dont 8 milliards à la charge des départements, le solde étant assumé par l’Etat. Le nombre d’enfants concernés par des mesures de protection était de 330 000 en 2018, chiffre en augmentation régulière de l’ordre de 3 % en moyenne depuis une vingtaine d’années, dont la moitié fait l’objet d’une mesure de placement en dehors de leur famille. D’après l’inspection générale des affaires sociales, la moitié de ces placements aurait pu être évitée, ce qui signifie que pour un enfant « maltraité » qui a pu être « sauvé » en le retirant de sa famille, il y en a un autre dont la trajectoire a basculé parce que le système de protection de l’enfance n’a pas agi avec le discernement requis.

La législation française, prise à la lettre, ne paraît pourtant pas encourager ces dérives. D’après l’article 375 du code civil, les mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises. Rappelons que les mesures d’assistance éducative peuvent être mises en œuvre en milieu ouvert, y compris dans la famille de l’enfant qui y fait alors l’objet d’un suivi socio-éducatif. L’article 375-1 de ce code précise même que le juge des enfants doit toujours s’efforcer d’obtenir l’adhésion de la famille et se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant. Ces dispositions sont, dans la pratique, interprétées en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le placement d’un enfant est une mesure qui ne peut être prise que pour une raison « extraordinairement impérieuse ».     

Des dizaines de milliers de familles sont, chaque année, privées de la présence de leurs enfants parce qu’une situation familiale, le plus souvent banale, a été montée en épingle par un système socio-judiciaire qui dérive sans contrôle. Il est surprenant de constater la facilité avec laquelle une enquête sociale peut être déclenchée : il suffit d’un appel téléphonique signalant une « information préoccupante », passé au 119 par l’école, le médecin, l’hôpital, un proche malveillant ou mal informé, le parent qui n’a pas la garde de l’enfant, un voisin plus ou moins bien intentionné, ou même d’un signalement anonyme, pour que le service départemental d’aide à l’enfance décide en effet d’ouvrir une enquête. Celle-ci est le plus souvent confiée à une association privée qui va émettre des préconisations qui seront largement suivies par le juge des enfants. Ces recommandations sont orientées vers le placement des enfants en dehors de leur famille, par exemple dans un foyer géré par l’association, ce qui met celle-ci dans une situation de conflit d’intérêt évidente en étant à la fois prescripteur et fournisseur et en réduisant l’enfant au rôle de « client ». Les associations se partagent ainsi le budget alloué à l’ASE dont la Cour des Comptes a eu l’occasion de juger les comptes opaques.     

Il faut malheureusement insister sur le biais psychologique qui imprègne les rapports d’enquête sociale. Ceux-ci utilisent les mêmes termes et les mêmes clichés pour incriminer les familles après un examen superficiel de la situation, le plus souvent à charge, qui laisse une large place à la psychanalyse. Les parents sont vite considérés comme atteints par le « syndrome d’aliénation parentale », concept psychologique qui ne repose sur aucun fondement scientifique. L’enfant qui souffre d’un trouble du neurodéveloppement comme l’autisme peut se retrouver placé car ce trouble va être mis sur le compte de l’éducation qu’il reçoit. Les juges pour enfants reprennent la plupart du temps les termes des rapports, dans leurs décisions. En cas d’appel, celles-ci sont le plus souvent confirmées quand elles ne sont pas aggravées. Les exemples concrets décrits dans le livre illustrent bien l’obstination dont font preuve les enquêteurs et les juges pour justifier à tout prix les mesures d’éloignement des enfants de leur famille.

Les dégâts provoqués par ces placements abusifs sont pourtant considérables. L’enfant privé de l’affection de ses parents va être pris en charge dans une famille ou le plus souvent dans un foyer, avec des éducateurs plus ou moins bien formés à cette tâche, et sera exposé aux risques de violence de drogue, d’échec scolaire, ce qui peut entraîner des fugues et des suicides. En outre, les parents qui ont été privés de la garde de leurs enfants vont être disqualifiés aux yeux de leurs enfants, ce qui rendra d’autant plus difficile leur éventuel futur retour à la maison.     

Cette analyse de la protection judiciaire de l’enfance est intéressante et instructive même si le parti pris féministe de l’auteur est de nature à en altérer la portée. Celui-ci insiste lourdement sur l’avantage donné aux hommes sur les femmes dans ces procédures, ce qui reste tout de même à démontrer. Un peu plus de volumétrie sur ces placements abusifs serait bienvenu, mais faisons à l’auteur le crédit de l’absence de sources disponibles. On ne peut en tout cas qu’être marqué par la multiplicité des acteurs impliqués (cellule de recueil des informations préoccupantes, service de l’ASE du conseil départemental, associations, juges pour enfants, juge d’instruction, procureurs, services de protection judiciaire de la jeunesse) et leur irresponsabilité quant aux conséquences des mesures prises. Il serait intéressant de voir comment mettre en cause la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux de la justice, voire même la responsabilité pénale personnelle de ces acteurs.

Nous pouvons aussi regretter que l’auteur ne mentionne pas les causes les plus fréquentes du déclenchement de ces enquêtes et des mesures d’assistance éducative qui en sont la conséquence, à savoir la mauvaise éducation des enfants et la division des familles. Les enfants sont, en effet, les premières victimes de la mésentente entre leurs parents, a fortiori quand celle-ci va jusqu’à la séparation. Les divorces vécus comme épanouissant les enfants relèvent plus de la fausse communication que de la réalité. Nous pourrions aussi ajouter à l’intention des parents un conseil de prudence pour ne pas exposer leur famille au risque d’un signalement qui serait effectué à tort et déclencherait une enquête aux suites imprévisibles.  

En écho à ces dysfonctionnements de la protection judiciaire de la jeunesse, il est permis de rappeler la déclaration faite par le garde des sceaux, Olivier Guichard1 à qui un journaliste demandait, au moment où il quittait ses fonctions, ce qu’il avait retenu de son passage place Vendôme : « J’ai compris qu’il valait mieux ne jamais avoir  affaire à la justice ». Sage conseil.     

Thierry de la Rollandière

 

1 Olivier Guichard, Ministre de l’Industrie (1967-1968), Ministre du Plan et Aménagement du Territoire (1968-1969), Ministre de l’Éducation nationale (1969-1972), Ministre de l’Équipement-Logement-Tourisme (1972-1974), Ministre d’État, chargé de l’Aménagement du Territoire, de l’Équipement et des Transports (mars-mai 1974), Ministre d’État, Garde des Sceaux (1976-1977).

 

 

Dieu sait

Il fait nuit. La route est longue encore. Le ronronnement du moteur berce les enfants dont la tête repose sur les fauteuils, doucement balancée par les irrégularités du bitume. La pluie tape sur les fenêtres de la voiture. Les faisceaux des phares se brisent en traversant les gouttes plaquées par le vent sur les vitres. La petite fille somnole. La voiture ralentit. La lumière devient rouge vif. Devant, papa et maman chuchotent soudain. Ils s’interrogent sur la raison de ce bouchon à cette heure tardive. La petite fille sort de sa torpeur. Des sirènes se font entendre. L’orange et le bleu des gyrophares inondent la voiture. Dans la lumière, la petite fille voit ses parents se signer. Ils prient. C’est un accident de la route. Il y a des pompiers. Peut-être y a-t-il un blessé, peut-être grave ? Ou pire, peut-être quelqu’un est-il mort ? Qui pour prier pour eux ? Dans le fond de son cœur, la petite fille récite un ave.

Ce petit ave obtiendra-t-il, pour la personne tuée dans l’accident, la grâce de se repentir de ses péchés dans un ultime élan de Charité ? Et par là, lui ouvrira-t-il le Ciel ? Qui sait ? Peut-être ce simple ave, récité en pensée par une petite fille, pourra-t-il mériter la grâce de la persévérance finale pour un pécheur endurci ? Dieu sait.

Combien de fois prions-nous pour les autres ? Oh, nous prions, c’est vrai. Souvent pour demander des choses pour nous-mêmes, plus ou moins directement. Et nous faisons bien. Dieu attend que nous Lui adressions ces prières, pour un besoin matériel, pour affronter une épreuve, pour grandir en sainteté, pour vaincre tel défaut ou éviter tel péché. Nous prions aussi, un peu moins il est vrai, pour demander pardon, remercier et adorer. Nous prions souvent plus facilement pour demander des grâces. Mais prions-nous pour les autres ?

Dieu a donné sa vie pour tous les hommes. Tous. Pas uniquement ceux que nous aimons, dont nous apprécions la compagnie quand nous sommes bien lunés. Non, tous les hommes sont dans les vues de Dieu. D’abord ses enfants, les baptisés, en état de grâce, qui sont nos frères dans la Foi. Membres d’un seul et même corps, nous devons nous soutenir par la prière, à travers les époques et les lieux. Puis tous les hommes, les pécheurs en état de péché, coupés de Dieu, les apostats, les hérétiques, les païens, les impies. Dieu veut leur âme aussi. Prions-nous pour cela ? Qui sait ce que peuvent obtenir nos prières, combien d’âmes elles peuvent moissonner, combien de grâces elles peuvent obtenir ? Dieu sait.

Dieu n’attend pas de vagues prières. Du moins, n’attend-Il pas que nous priions seulement pour les pécheurs en général, pour les fidèles, en vrac. Dieu veut que nous lui adressions des prières pour des personnes précises, celles que nous connaissons et croisons sur notre chemin. Nous avons beaucoup d’avis sur tel ou tel politique, pas toujours très flatteur. Mais prions-nous pour lui ? Pour sa conversion ? N’est-ce pas le premier devoir d’un catholique envers ses dirigeants ? Avons-nous récité un ave pour le mendiant qui nous casse les pieds dans le métro ? Un souvenez-vous pour un collègue avec qui nous aimons prendre un café ? Un pater pour le voisin qui va encore à la messe au village malgré les idées folles que la société a fini par lui faire avaler ? Prions-nous pour notre prochain, celui, bien réel, que Dieu a placé à côté de nous ?           

Ces prières, nous pouvons les adresser à tous ceux qui nous précèdent dans le paradis. Tous ceux qui, remplis de la grâce sanctifiante quand la mort les surprit, ont rejoint notre Père à tous en son sein. La prière et la grâce se moquent des dimensions humaines : peu importe le temps, peu importe que nous priions pour des personnes déjà mortes ou pas encore nées, pour nos lointains enfants ou nos aïeux anonymes, Dieu donne sa grâce.

Enfin, nous l’oublions souvent, mais l’immense cohorte des Elus, les Saints, eux aussi prient pour nous. Du haut du Ciel, ils connaissent nos misères et nos difficultés, ils entendent nos prières et nous adressent les leurs. Tous ceux pour lesquels nous avons prié afin de les libérer du Purgatoire, ceux que nous avons connus sur terre, d’autres aussi, que nous ne connaissons peut-être même pas, ne prieraient-ils pas pour nous ? Ne sont-ils pas nos frères, tous enfants de Dieu ?

Dieu nous a donné ce pouvoir immense d’obtenir des grâces par la prière, pour nous-mêmes, mais plus encore, pour les autres.

Alors, prenons la résolution de ne pas passer une seule journée, sans avoir au moins prié une fois pour une personne en particulier, ne serait-ce qu’un ave. Le facteur, le patron, la boulangère, le voisin, l’original du RER, le mendiant malodorant du coin de la rue, le gendarme qui nous verbalise, le politicien qui déblatère à la télévision, le démarcheur par téléphone qui nous appelle une énième fois, l’inconnu croisé dans un rayon du supermarché, le blessé dans l’ambulance qui nous double sirène hurlante, les défunts du cimetière que nous longeons en voiture, le collègue qui nous casse les pieds en racontant sa vie à la machine à café, la famille qui s’entasse bruyamment sur le banc devant nous à l’église, le lointain ancêtre qui est encore au Purgatoire.

Qui sait ce que nos prières obtiendront ? Dieu sait.

Nous-même, nous avons et aurons besoin que d’autres prient pour nous. Ceux qui sont au Ciel, nos enfants, nos descendants, qui nous l’espérons, prieront un jour pour nous. Mais espérons-nous obtenir des autres ce que nous refusons à d’autres ? Non, cela ne se peut. Et même, avons-nous la moindre idée de toutes les grâces que nous avons déjà reçues par l’intercession des autres ?

Qu’en savons-nous ? Dieu seul sait.

A combien de personnes sommes-nous déjà redevables des innombrables grâces reçues de Dieu qui parsèment toute notre vie, à chaque instant ?

Nous ne le savons pas. Dieu sait.

La seule chose que nous savons, c’est que nous croyons en la Communion des Saints.

  Louis d’Henriques

 

L’émaillerie limousine au XIIe siècle : les reliquaires de sainte Valérie et de saint Thomas Beckett

S’il est un art dans lequel le Limousin excelle, c’est bien celui de l’émail. Avant d’être connue pour sa porcelaine, la ville de Limoges fut tout au long des XIIe-XIVe siècles un centre de production d’émaux particulièrement important. C’est l’âge d’or de l’émail limousin. L’œuvre de Limoges s’exporte dans toute l’Europe, et encore aujourd’hui on en retrouve des pièces dans les musées de France, d’Angleterre, d’Espagne et même du Danemark ! La plupart sont réalisés via la technique de l’émail champelevé : l’artisan creuse le métal pour ensuite y déposer l’émail sous forme de poudre humide. Après cuisson, l’émail est fixé et n’a plus qu’à être poli. La châsse est alors partiellement dorée pour perfectionner le tout. Comme ce diocèse ne manquait pas de saints, que la population aime encore porter en procession dans les rues lors des grandes ostensions septennales, pratique toujours en vigueur et récemment classée au patrimoine immatériel de l’humanité, les émailleurs fabriquèrent moult reliquaires en l’honneur de leurs saints locaux, comme sainte Valérie, ou de saints « étrangers » comme saint Thomas de Cantorbéry, également connu sous le nom de Thomas Beckett.

 

Sainte Valérie : la protomartyre d’Aquitaine

Sainte Valérie est une vierge martyre du IIIe siècle, contemporaine de la christianisation du Limousin par saint Martial, premier évêque de Limoges. Fille d’un dignitaire romain de Limoges, elle se convertit au christianisme et refuse d’épouser le haut fonctionnaire païen auquel elle était promise. Elle est alors décapitée. La vita prolixior de saint Martial, rédigée par Adémar de Chabannes, moine de Saint-Martial de Limoges au tournant des Xe-XIe siècles, rapporte un miracle étonnant : Valérie décapitée se relève, prend sa tête et l’apporte à saint Martial alors que celui-ci célèbre la messe en la cathédrale de Limoges. Elle est enterrée dans la crypte de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges.

 

Cet épisode dit « de céphalophorie » est souvent représenté sur les châsses reliquaires réalisées en son honneur. La plupart du temps la sainte est debout ou à genoux, présentant sa tête entre ses mains à saint Martial qui se tient devant un autel. Souvent, le bourreau est encore présent par derrière, armé d’un glaive. Le récit de ce miracle, qui vise en partie à affirmer que la sainte elle-même confie ses reliques à l’évêque de Limoges, qui en assure la garde dorénavant, fait également du martyre de Valérie une union au sacrifice du Christ. Valérie apporte l’offrande de sa vie sur l’autel où Martial célèbre l’Eucharistie. Elle s’unit au sacrifice du Christ, ce qui n’est pas sans conférer une réelle dimension liturgique à l’épisode.

 

La popularité du culte de sainte Valérie tient beaucoup à ce miracle. Mais à l’époque ce n’est pas tant le caractère extraordinaire du miracle qui compte que ce qu’il sous-entend : d’une part le culte de ses reliques est encadré par l’évêque de Limoges, autrement dit il est légitime ; d’autre part, son histoire étant liée à celle du premier évêque de Limoges, elle devient véritablement la protomartyre d’Aquitaine. Par son sang, elle christianise la ville, comme saint Martial par sa prédication. Or au XIIe siècle, saint Martial est au cœur d’un débat qui agite toutes les abbayes d’Aquitaine. En raison d’un engouement pour les temps apostoliques, la cathédrale de Limoges prend le nom de Saint-Etienne, dont elle revendique une part des reliques. Saint Martial lui-même devient le treizième apôtre, contemporain du Christ. Et c’est ainsi que Valérie, par imitation de saint Etienne, premier martyr chrétien, devient la protomartyre d’Aquitaine.

 

Saint Thomas Beckett : l’évêque assassiné

Il est un autre saint que les émailleurs limougeauds apprécient plus que d’autres, saint Thomas de Cantorbéry, connu en Angleterre sous le nom de Thomas Beckett. Né à Londres au début du XIIe siècle, Thomas Beckett devint archevêque de Cantorbéry, haut-lieu intellectuel du monde anglo-normand. En raison d’un désaccord avec le roi Henri II Plantagenêt, il fut assassiné dans sa propre cathédrale le 29 décembre 1170 par des chevaliers aux ordres du roi. La raison de leur désaccord : l’indépendance du pouvoir religieux vis-à-vis du pouvoir politique. Naturellement Henri II nia avoir donné l’ordre, ce qui ne l’empêcha pas de faire pénitence publique à Avranches. L’assassinat du prélat anglais eut un retentissement considérable dans toute la Chrétienté du XIIe siècle et, pour se le faire pardonner, Henri II dut promettre de partir en croisade et contribuer financièrement à de nombreuses fondations monastiques sur le continent.

 

Le diocèse de Limoges faisait partie du duché d’Aquitaine. Et, depuis son mariage avec Aliénor d’Aquitaine, Henri Plantagenêt, alors simple comte d’Anjou, était en possession d’un bon quart sud-ouest du royaume de France, avant de devenir, par un jeu d’héritage et de succession, duc de Normandie et roi d’Angleterre. Le retentissement de l’assassinat de Thomas Beckett explique donc la forte présence de son martyre sur les châsses reliquaires limousines, exportées par la suite sur l’ensemble des territoires Plantagenêt et au-delà. On y voit saint Thomas, célébrant la messe, attaqué et décapité au pied de l’autel par les hommes aux ordres du roi. Comme pour sainte Valérie, un martyr offre sa vie au pied de l’autel, lors du sacrifice de la messe.

 

Conclusion 

La récurrence du martyre de sainte Valérie et de saint Thomas Beckett sur les châsses limousines est donc en grande partie liée à la dynastie Plantagenêt. Richard Cœur de Lion, fils d’Henri II, lors de son investiture ducale en 1170, l’année même de l’assassinat de saint Thomas de Cantorbéry, avait reçu l’anneau de sainte Valérie. Depuis lors, il se considérait uni à la sainte par un lien mystique tout particulier. Devenu roi, il partit en croisade pour honorer la pénitence de son père. La dynastie angevine se mit donc sous la protection du martyr politique assassiné par son père devant l’autel, et de la protomartyre d’Aquitaine apportant sa tête au pied de l’autel. En leur dédiant ces nombreux reliquaires, les descendants d’Henri Plantagenêt imploraient leur intercession pour obtenir le pardon de la faute qui entachait la dynastie.

Une médiéviste