Ecolo avant l’heure

Il est amusant de remarquer que nombre de saints et de religieux ont été des écolos avant l’heure. Et comment s’en étonner, quand on se souvient des préceptes du Créateur dans la Genèse qui créa la Terre et l’univers, et tout ce qui les compose, afin que la vie de l’homme soit harmonieuse au paradis terrestre, et qu’il puisse soumettre la Création dans le respect des lois divines. « Croissez et multipliez. »

N’est-ce pas ce que se sont acharnés à faire tous ces moines bénédictins qui ont façonné le paysage français pendant des siècles en défrichant de vastes zones et en les transformant en terres cultivables pour les paysans des environs ? Ils ne se posaient pas la question de savoir s’ils respectaient l’environnement, car ils savaient qu’ils participaient à faire fructifier un bien que le Bon Dieu leur avait donné. Il n’était pas question de décroissance à l’époque, ni de respect de la forêt primaire, car c’était une question de survie alimentaire pour les populations environnantes.

Nous avons également les exemples de tous ces saints ermites qui, dans leur lieu d’ermitage, étaient soutenus au jour le jour par un animal familier : une biche pour saint Gilles, un chien pour saint Roch, ou le chien gris de Don Bosco, qui leur était providentiellement envoyé pour leur procurer le ravitaillement ou les soins et la protection que leur dénuement volontaire ne pouvait leur fournir. Dieu se servait de ces animaux pour soutenir ces saints qui lui avaient tout abandonné. On voit bien ici l’étroite connivence entre les créatures et leur Créateur, ainsi que le soin paternel que le Bon Dieu prodigue aux âmes qui lui sont consacrées. Il leur fournit à la fois des biens spirituels, mais également les moyens naturels de poursuivre leur vie d’adoration. Pourquoi ? Parce que tout lui a été abandonné.

Pas de planification, ni de sommet sur le climat, ni même de météorologie là-dedans. Ces hommes ne prévoyaient rien, mais ils avaient ce qu’il leur fallait, pour peu (!) qu’ils vivent dans l’amour du Bon Dieu. C’est également le cas des communautés qui, encore aujourd’hui, ne vivent que des largesses des donateurs, et ne se nourrissent que grâce à leur générosité.

Que dire encore de la relation qu’un saint François d’Assise avait avec la Nature ! Elle ferait pâlir de jalousie nos Verts modernes. Cette intimité fraternelle avec Dame Nature, Frère Soleil, Frère Loup ou ces oiseaux pour lesquels il prêchait, est vraiment surprenante. C’est un reflet de ce qui pouvait se passer au Paradis terrestre avant le péché originel.

 

 

Alors, « l’écologie chrétienne » a toujours existé, mais avec une dimension bien supérieure aux pauvres vues humaines qui président ce retour à la Nature, actuel. Ses fondements datent des premiers jours de l’Homme, du temps de sa dilection et de l’osmose entre la Création et Adam et Eve au Paradis terrestre. Elle est toujours un corollaire de la relation d’amour qui existe entre Dieu et les hommes, pour peu qu’ils se soumettent à ses commandements, véritable mode d’emploi de la Création, et qu’ils lui abandonnent leurs intérêts matériels.

Ce n’est pas en voulant tout contrôler et se mettre à la place du Créateur que l’homme moderne va retrouver cette innocence et cette juvénilité de la Nature,  ainsi que l’harmonie perdue du Paradis terrestre, qu’il recherche toujours avec tant de nostalgie.

 

Respect humain ou apostolat ?

Les saints, les grands hommes d’état, ou les chefs de valeur, ont souvent commencé par témoigner de leur Foi et de leur courage dans de petites choses. Ils y ont acquis un entraînement de la volonté, une sorte de baptême du feu, qui leur a permis plus tard d’avoir « l’habitus » de la vertu et du courage. C’est le cas de nombreux martyrs, qui s’exerçaient à une multitude de petites privations au quotidien, afin de ne pas faillir si le jour venait où des douleurs plus grandes se présenteraient.

C’est, dans un moindre cas, l’exemple fameux dont témoigna le Maréchal Leclerc. Une des premières batailles qu’il eut à mener, et une des plus redoutables selon ses dires, fut une bataille contre lui-même, et contre le respect humain. Durant ses études, il était le seul dans son dortoir à dire sa prière à genoux au pied de son lit, malgré les quolibets et les projectiles qu’il recevait pour le distraire de ses oraisons. A force de maintenir fermement sa position, il s’attira le respect de ses camarades, mais surtout, des grâces divines et une force de caractère et une rectitude qui lui servirent tout au long de sa carrière.

Nous ne devons pas avoir peur d’être fiers d’être catholiques. Cacher ses convictions, c’est ignorer la chance extrême que nous avons d’avoir la Foi. C’est être ingrats envers Celui qui nous a fait la grâce de nous la donner. C’est laisser le terrain à ceux qui ont le malheur de ne pas croire. C’est reprendre à notre compte les arguments des ennemis de l’Eglise, qui veulent imposer que la Foi soit cachée. C’est surtout priver les incroyants d’un témoignage qui pourrait les faire réfléchir et les convertir.

Cette théorie de l’enfouissement, nous la subissons maintenant depuis 60 ans, et elle porte ses fruits frelatés de déchristianisation, faute de catholiques qui témoignent de la vraie Foi, au jour le jour.  Alors, notre lampe merveilleuse, la lumière de notre foi, ne nous a pas été donnée pour que nous la cachions sous le boisseau. Nous savons très bien que la conversion de nos contemporains dépendra du courage de notre témoignage et de la grâce surabondante que le Bon Dieu voudra bien y ajouter.

 

Jamais seul

C’est dans une méditation sur l’Ancien Testament que Charles de Foucauld explique la source de sa confiance inépuisable en la Bonté divine. Puisse cette lecture vivifiante vous plaire et vous confirmer vous aussi dans cette certitude !

« C’est au moment où Jacob est en route, pauvre, seul, où il couche sur la terre nue dans le désert pour prendre son repos après une longue route à pied, c’est au moment où il est dans cette douloureuse situation du voyageur isolé au milieu d’un long voyage en pays étranger et sauvage, sans gîte, c’est au moment où il se trouve dans cette triste condition que Dieu le comble de faveurs incomparables ; Il lui apparaît dans une vision magnifique où, après lui avoir montré les anges occupés sans cesse à la garde des hommes, allant sans cesse de la terre au ciel et du ciel à la terre pour leur donner tout ce qu’il faut, Il lui promet de le protéger pendant son voyage, de le combler de grâces pendant sa vie et après sa mort, de bénir en un de ses descendants tous les peuples de la terre, de faire naître parmi ses petits enfants le Divin Sauveur… Il l’enveloppe tellement de clarté et de bonheur que Jacob, ce pauvre voyageur si brisé et si triste en se couchant, se relève en s’écriant : « Ce lieu n’est autre que la maison de Dieu et la porte du Ciel. » Qui aura peur désormais de faire, surtout si c’est pour Vous suivre, mon Dieu, pour Vous aimer et Vous mieux servir, qui aura peur de faire de longues routes à pied, au travers de peuples inconnus, seul et pauvre ? Qui aura peur, lorsque Vous inondez de tels délices ceux qui semblent destinés à tant de douleurs ? O mon Dieu, qu’il Vous est facile de changer la douleur en joie, d’aplanir les montagnes, de rendre facile ce qui semble presque impossible… « Cherchez le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît » … Faisons le plus parfait, entreprenons-le et Dieu le fera réussir… Et ne craignons pas les longues routes seul à pied en mendiant notre pain, avec saint Pierre, saint Paul, tant d’autres saints, dès que nous voyons qu’il est plus parfait de les entreprendre ; nous ne sommes jamais seuls : notre ange gardien nous couvre de ses ailes, Jésus est dans notre cœur, Dieu nous enveloppe, la Sainte Vierge a enfin les yeux sur nous, et c’est en des routes qui nous paraissent si tristes que Dieu nous force  à crier : « Ce lieu est la maison de Dieu et la porte du ciel. »

 

La beauté

Dans notre époque où toutes les valeurs font l’objet d’une déstructuration systématique, il semble que même la notion de Beau ne puisse plus exister ! La Beauté apparaît comme relative, subordonnée à l’air du temps, à la mode et soumise au productivisme.

Dans tous les arts libéraux, aucun n’est épargné : peinture, sculpture, musique, architecture… Il semble que les formes artistiques nouvelles soient des avatars de l’ère post-industrielle de notre occident matériel et décadent.

Et pourtant, nous avons tout un passé fait de lignées d’artistes, anonymes ou non, qui ont contribué à enrichir notre trésor culturel occidental. En France entre autres, les productions artistiques du siècle de saint Louis, sont le reflet d’un temps où l’art était l’émanation de la transcendance. L’harmonie et la paix qui se dégagent de la statuaire souriante du XIIIème siècle, la grandeur et l’élévation des cathédrales gothiques, la plénitude des compositions musicales de cette époque, porte l’âme plus haut, vers un bonheur spirituel qui a sublimé la matière et l’objet représenté.

Il est nécessaire de nous rappeler fréquemment que nos racines plongent dans cet Occident chrétien, dont l’esthétique n’était pas la recherche de la forme ni de l’excentricité, mais un trop plein d’une vie intérieure, à la gloire de la Création. Ce n’est pas une question de passéisme ou de nostalgie d’une chrétienté révolue, mais simplement le constat que la notion de Beauté dans l’art, chez les artistes ou dans le génie artistique des civilisations, dépend principalement de la vivacité de leur respiration spirituelle.

Alors, n’hésitons pas à « respirer le Beau » afin de nous en imprégner !

 

Charlemagne

Comme le dit la légende, c’est à Charlemagne que nous devons l’organisation de l’école en France.

Si l’idée de Charlemagne était de promouvoir l’enseignement pour un plus grand nombre et de lutter contre l’ignorance, à commencer par la sienne propre, en établissant des structures capables d’intégrer de plus en plus d’élèves, la réalisation et l’organisation de ce projet revint à Alcuin.

Diacre d’origine anglo-saxonne, formé à l’école cathédrale d’York, et distingué par Charlemagne, Alcuin conçut « le programme dont le but était de créer le sol fertile et le climat favorable à l’épanouissement naturel des graines de la foi catholique en une société chrétienne ».

« Sa stratégie était conçue pour fonctionner en quatre cercles concentriques. Il pensait en siècles, il savait que son travail consistait à planter des chênes, à élever une forêt de foi résiliente, robuste, dont la croissance serait lente mais vigoureuse, capable de résister à un climat hostile. Le cercle intérieur était constitué de l’Académie palatine d’Aix-la-Chapelle, où furent formés les porte-flambeaux qui porteraient l’esprit, les idéaux et les méthodes de la nouvelle culture dans les chancelleries épiscopales et les classes monastiques. Mais c’était également le centre où lui-même, les enseignants et certains des meilleurs étudiants discutaient, débattaient, priaient et planifiaient la restauration des outils pratiques de diffusion de la culture (alphabétisation, livres, art, architecture, liturgie et musique) à travers tout l’empire. Le second cercle était composé d’un >>> >>> petit nombre de monastères où l’enseignement supérieur était prodigué aux moines et au clercs les plus talentueux. Le troisième se composait de la majorité des abbayes et des écoles cathédrales où la plupart des jeunes moines et des nobles étudiaient. Enfin, dans le quatrième cercle se trouvait l’horizon ultime de leurs efforts : la création d’écoles pour l’enseignement primaire universel, installées soit sur des terrains monastiques, soit dans des paroisses, et dirigées par des moines ou des curés.

[…] Educateur dans chaque fibre de son être, Alcuin se consacra résolument à l’enseignement des étudiants de l’Académie palatine, puis plus tard de Tours. Il organisa la scolarité selon un plan moderne : « Donnez des maîtres à la fois aux garçons et aux clercs ; séparez en classes ceux qui pratiquent le chant, ceux qui étudient les livres et ceux qui copient (des manuscrits). » Le cursus était axé sur la grammaire, l’arithmétique, la logique, la rhétorique, la musique, l’astronomie et la géométrie. Chaque classe avait son propre enseignant chargé de la discipline « afin que les garçons (et les filles de leur côté, futures éducatrices) ne soient pas autorisés à flâner, oisifs, ni à se livrer à des jeux idiots ». Une inscription sur l’une des portes de l’école recommandait aux élèves d’être assidus – et aux éducateurs d’être doux ! Merveilleux professeur lui-même, Alcuin devint pour ses étudiants, l’incarnation de l’apprentissage, de la patience et de l’excellence pédagogique, en se fixant des objectifs ambitieux, en suscitant l’intérêt et en excitant l’imagination. Beaucoup d’étudiants lui manifestèrent leur attachement en le révérant et en l’aimant comme un père spirituel, puis en tant qu’ami, et restèrent en contact avec lui par correspondance longtemps après la fin de leurs études. »1

 

L’œuvre d’Alcuin se développa grâce à de nombreux outils pratiques qu’il se plut à multiplier : intensification de la fabrique de parchemins, de plumes et de pinceaux, afin de fournir les matériaux aux nouveaux copistes qui permirent une plus grande diffusion des textes anciens, développement d’une école de calligraphie qui créa la caroline, minuscule lettre beaucoup plus facile à lire, qui préfigurait notre script moderne ; multiplication des scriptoriums des abbayes, et des écoles cathédrales préfigurations des universités des XIIème et XIIIème siècles ; restauration du latin comme langue commune de l’empire ; création d’écoles de chant grégorien dans les monastères et généralisation du rite romain par multiplication du sacramentaire grégorien.

Cette gigantesque entreprise de renouveau intellectuel du IXème siècle permit plus tard l’éclosion du magnifique essor de l’université médiévale française dont la figure de proue est saint Thomas d’Aquin, fondateur essentiel de la pensée chrétienne et occidentale.

 

17 ans!

Je ne résiste pas à vous faire connaître ce texte, extrait du Dossier Spirituel du Pèlerinage de Pentecôte 2022. Puisse-t-il vous enthousiasmer, même si vous avez 3 ou 4 fois l’âge d’être un « héros » !


Un homme réalise dans sa vie ses rêves de dix-sept ans. Et dans certaines circonstances, ce sont les jeunes qui réalisent les plus grandes choses. Dix-sept ans, c’est l’âge héroïque. C’est l’âge de la vocation ; c’est-à-dire de l’appel de Dieu et de la réponse de l’homme. C’est l’âge où l’homme mesure le monde, prend lui-même sa mesure d’homme, par les options les plus considérables de toute sa vie. À dix-sept ans, le jeune Clovis rêve d’un grand royaume et à dix-neuf, bousculant le Roi des Romains, fondera l’unité française. À dix-sept ans, Jeanne voit l’agonie du royaume et à dix-neuf mourra, l’ayant sauvé. À dix-sept ans, Montalembert pleure d’envie en voyant William Pitt Premier ministre à vingt-quatre ans, mais lui, à dix-neuf ans, reconquerra les premières libertés de l’Église de France, réapprendra à son siècle l’audace et l’honneur, tandis qu’à dix-neuf ans Ozanam lui réapprenait la charité !

Résistons à cet esprit de vieillard qui pèse sur notre temps et sur notre pays, consistant à ne prêter intelligence qu’aux plus de 50 ans. C’est 30 de trop ! Nous devons transformer les mœurs des jeunes, remplacer un christianisme mondain, c’est-à-dire incomplet, par un christianisme loyal, une religion de jeunes qui vont jusqu’au bout.

S’il y a mille jeunes fils de France capables de comprendre ce langage, capables de faire à 17 ans le serment de ne pas vieillir avant d’avoir reconquis la France sur les barbares pour la rendre au Christ, alors nous sommes sauvés. Je fais appel à ceux-là.

 

  1. Doncœur, in Paul Doncœur aumônier militaire, P. Mayoux, p. 164-165

 

« La jeunesse seule, l’enfance, a cet élan, cette légère et allègre abnégation, ce débordement de vie qui fait reculer la mort. » (G. Hanoteaux)

Voilà qui est pour vous couvrir de honte si, ayant vos dix-sept ans comme Jeanne d’Arc, vous vous contentez des inerties et des calculs des cœurs vieillis.

Jeanne appartient aux jeunes. Antoine de Chabannes a 18 ans (il a fait ses premières armes à 13) ; son page, Louis de Coutes, a 15 ans ; Guy de Laval, qui sera fait comte à Reims, a 20 ans, son frère André 18 – à 12 ans il avait été fait chevalier sur le champ de bataille de la Gravelle ! – le duc René 20 ans ; le duc d’Alençon, 23 ; Dunois, 26 ; Charles VII lui-même n’a pas 27 ans.

 

  1. Doncœur, La chevauchée de Jeanne d’Arc, p. 9-10

 

La vocation

N’ayez qu’une crainte, dit sainte Thérèse, c’est de craindre quelque chose (…) Faites tout, dit-elle, comme s’il n’y avait au monde que Dieu et votre âme.

           Voilà deux principes qui, s’ils sont bien compris et appliqués, montrent la supériorité de notre religion et surtout, la liberté et l’épanouissement qu’elle procure, par cette relation de confiance avec notre Dieu, à la fois Père et Maître bienveillant de notre destinée.

  Quoi de plus libérateur que de se savoir infiniment aimé et choyé par la Providence ?

  Alors pourquoi craindre de s’engager, quelle que soit la voie envisagée, si l’on a la ferme volonté de suivre la volonté divine ? C’est cette confiance que nous devons inculquer à nos enfants, avant même le moment du choix, choix qui sera d’autant plus ferme qu’il aura été préparé par de bonnes discussions familiales, bien en amont.

  De plus, quand les enfants savent qu’ils peuvent compter sur le jugement perspicace et sage de leurs parents, sur leur approbation au moment de l’hésitation sur une vocation religieuse ou sacerdotale, sur leur aide et leurs prières quand des doutes les assaillent, cela leur est d’un grand réconfort et assure une stabilité psychologique et spirituelle bien rares de nos jours.

  Voilà de quoi nous inciter à renforcer nos liens familiaux et nos discussions en famille, bien avant l’âge des choix d’avenir de nos enfants.

 

Grandir et mourir

           L’âge de la majorité et des responsabilités d’adulte a beaucoup varié selon les siècles, tant il est vrai qu’il était déterminé par les fluctuations de l’espérance de vie, selon les générations.

           Même s’il est difficile d’avoir des données précises sur la démographie au Moyen-Age, par exemple, on sait qu’au XIIIème siècle encore, un enfant sur trois meurt avant l’âge de 5 ans. En 1100, l’espérance de vie est de 20 ans seulement, alors qu’elle atteint 35 ans et plus au XIIIème siècle !

  La vie était courte, et ne pouvait donc être gâchée. Tous les instants comptaient : au Moyen-Age,  « l’omniprésence de la mort est indéniable. La question du salut demeure un fait urgent et permanent », comme l’écrit Patrick Sbalchiero1. Il fallait apprendre à grandir très vite, prendre sa part de travail dès le plus jeune âge pour faire vivre sa famille, se montrer un homme avant l’âge de 10 ans, guerroyer dès qu’on le pouvait. Nécessité faisait loi.

  Mais aussi était-on aidé par la grande spiritualité qui entourait la vie quotidienne : beaucoup de vocations, beaucoup d’églises ; avant 1328, il y avait au moins une église ou chapelle pour 200 habitants, ce qui veut dire au moins autant de desservants !

  Apprendre à grandir était surtout, apprendre à bien mourir, en ayant accompli la vocation pour laquelle nous étions faits.

  Nous ne sommes plus tout à fait dans les mêmes conditions, la vie est beaucoup plus facile pour nos jeunes, et c’est peut-être pourquoi, ils ont tant de mal à « grandir »… Mais le but à atteindre est toujours le même !

 

1 in Des hommes pour l’éternité – Artège – 2020

 

Les insomnies

           La retraite peut être un moment rêvé depuis des années, idéalisé et attendu comme un soulagement, ou au contraire, redouté et source d’inquiétude et d’angoisses : car avec la retraite, tous les maux de la vieillesse commencent à se manifester ou à s’intensifier, et parmi eux, non le moindre, l’insomnie…

Certains en souffrent déjà depuis longtemps, mais peu sont arrivés à l’apprivoiser ou même à la désirer, comme l’a fait le Bienheureux Charles de Foucauld dans sa retraite d’ermite.

Voici ce qu’il disait de ses nuits de veille, illuminées par sa profonde vie spirituelle. Quelle richesse pour nos pauvres âmes !

 

  Notre-Seigneur, prie seul, prie la nuit. C’est une habitude chez Lui… Bien des fois, l’Evangile nous répète : « Il se retira seul pendant la nuit pour prier » … Aimons, chérissons, pratiquons à son exemple, la prière nocturne et solitaire… Quand tout sommeille sur la terre, veillons et faisons monter nos prières vers notre Créateur… S’il est doux d’être en tête-à-tête avec ce qu’on aime au milieu du silence, du repos universel et de l’ombre qui couvre la terre, combien est-il doux d’aller en ces heures, jouir du tête-à-tête avec Dieu ! Heures d’incomparable félicité, heures bénies qui faisaient trouver à saint Antoine les nuits trop courtes… Heures où, pendant que tout se tait, tout dort, tout est noyé dans l’ombre, je vis aux pieds de mon Dieu, épanchant mon cœur dans Son amour, autant qu’il me chérit… Nuits fortunées que mon Dieu me permet de passer en tête-à-tête avec Lui… O mon Seigneur et mon Dieu, faîtes-moi sentir comme je le dois, le prix de pareils moments ! Faîtes-moi « delectare in Domino » … Faîtes-moi, à Votre exemple, n’avoir pas de plus chers moments, pas de plus vrai repos, pas d’heures plus suaves et plus enviées que ces heures de prières nocturnes et solitaires !

 Ecrits spirituels. Charles de Foucauld

 

Les femmes

           Il est très courant d’entendre des réflexions étonnantes qui laissent penser que la femme n’a été reconnue qu’après la révolution, que l’Eglise catholique les a rabaissées ou brimées…

C’est mal connaître l’histoire ! Voici comment répond le philosophe et historien W. J. Slattery, dans son dernier livre1 :

 

  « Une pratique subtile mais efficace de l’Eglise, dans ses efforts pour atténuer le « machisme » des hommes, fut l’habitude qu’elle prit, dès les premiers temps, d’élever des femmes autant que des hommes au plus haut rang de sa hiérarchie : les saints canonisés. En effet, des figures féminines comme Marie-Madeleine, Agnès, Cécile, Anastasie, Agathe et Lucie, étaient souvent plus vénérées que beaucoup de saints masculins. Comme le remarqua l’auteur américain Flannery O’Connor : « L’Eglise canonisait les femmes aussi rapidement que les hommes et je suppose qu’elle a fait plus pour libérer les femmes qu’aucune autre force dans l’Histoire. »

 

  Dans l’Empire romain, les femmes de la haute société reconnurent l’impulsion révolutionnaire donnée par le christianisme pour la dignité des femmes, et cela renforça la décision de beaucoup d’entre elles de se convertir à la nouvelle religion, malgré l’ostracisme social que cela impliquait. Certaines d’entre elles eurent très tôt une influence notable dans l’Eglise, se transformant même en directeurs spirituels de quelques-uns des hommes les plus importants de la Chrétienté des premiers siècles. L’Eglise catholique donna également aux femmes une nouvelle liberté dans la recherche de l’accomplissement de soi hors du mariage, quand elle proclama que la consécration virginale était supérieure en dignité à la maternité physique. De cette façon, les femmes acquirent une autonomie qu’aucune autre culture ne connaissait, car elles pouvaient former et gouverner elles-mêmes leurs propres communautés, et jouer un rôle majeur dans le développement de la culture occidentale.

 

  Combien de millions de vies dans le monde ont été transformées par ces religieuses ! Combien d’hôpitaux, d’orphelinats, d’écoles, d’universités, de centres d’accueil des pauvres, des malades et des mourants sont nés des cœurs héroïques de femmes telles que Scholastique, Claire d’Assise, Angèle Mérici, Louise de Marillac, Catherine Macaulay […] ! Et, à la fin de l’histoire, nous saurons quelle puissance surnaturelle a été libérée grâce aux prières et aux pénitences de tant d’héroïnes cloîtrées.

 

  Vers le XIIème siècle, il fut évident qu’au foyer, dans la loi et dans la politique, malgré les faiblesses de la nature humaine blessée, des progrès colossaux avaient été faits. A la maison, les femmes dirigeaient aux côtés de leur mari, à la fois leur famille et leur propriété, et conservaient ce qui leur avait appartenu avant le mariage. Elles étaient également libres de faire un métier, et pratiquaient régulièrement la médecine, s’engageaient dans le commerce et s’impliquèrent dans la politique. D’après l’étude commandée par le roi Louis IX au XIIIème siècle, nous savons que les femmes exerçaient les métiers de professeur, de docteur, de pharmacien, de plâtrier, de teinturier, de copiste, de marchand de sel, de coiffeur, de meunier… et de croisé !

 

  Beaucoup étaient tout aussi cultivées que les hommes, grâce à l’Eglise et à ses abbayes. Quelques unes firent partie des étoiles intellectuelles de l’Europe médiévale : la chanoinesse Hrotsvita, dont l’œuvre écrite influença le développement de la langue et du théâtre allemands ; l’abbesse Herrade de Landsberg, qui rédigea l’encyclopédie Hortus Deliciarum au XIIème siècle ; la compositrice et érudite Hildegarde de Bingen.

  Politiquement entre les XIème et XIIIème siècles, des femmes, telles que Blanche de Castille, ont même gouverné des royaumes en tant que régentes. D’autres, comme Héloïse, abbesse du monastère du Paraclet en France, ont gouverné des régions étendues, comprenant villages et paroisses. Il y eut même des domaines monastiques où les hommes et les femmes vivaient dans des monastères séparés dont chacun était dirigé par une femme ; c’était le cas de l’abbaye de Fontevrault. Durant l’ère médiévale, les plus puissants des hommes eux-mêmes pouvaient désirer être guidés par une femme, se fondant sur l’éthos catholique selon lequel les hommes, tout comme les femmes, pouvaient être les instruments de Dieu dans l’histoire. Quand le pape Grégoire XI décida de transférer le gouvernement de l’Eglise de la cité bien protégée d’Avignon vers la sordide et dangereuse ville de Rome, en 1376, ce fut entièrement du fait des exhortations extrêmement directes de Catherine de Sienne, alors âgée de vingt-neuf ans. Et n’oublions pas comment tous les chefs militaires de France s’engagèrent dans la bataille derrière un commandant en chef féminin de dix-sept ans, Jeanne d’Arc. Il était même très fréquent, dans la France médiévale, et ailleurs, que les femmes votent lors des élections : on a gardé la trace d’une femme, Gaillardine de Fréchou qui, lors d’un vote dans sa région des Pyrénées, fut la seule à voter contre une proposition !

 

  Tout au long de l’Antiquité tardive, parallèlement à son [attention pour les] femmes, l’Eglise, toute surnaturelle mais toute terrestre, se soucia également des hommes, notamment de la classe dirigeante, pour mieux les former au mariage. En particulier, en exhortant les chevaliers à une authentique virilité qui requiert la conquête de soi, le catholicisme donna aux hommes une pédagogie destinée à acquérir la force intérieure nécessaire au mariage, par laquelle ils puissent être mieux préparés à aimer les femmes, ardemment et durablement, en les considérant leur égale en dignité.

 

  Enfin, il y avait cette aura de révérence surnaturelle dont l’Eglise entourait la féminité, à travers cette dimension essentielle du catholicisme : la vénération de la Sainte Vierge Marie. En enseignant aux hommes de s’agenouiller en sa présence, l’Eglise les entraînait implicitement à s’agenouiller devant la féminité. Au cours de ces siècles sombres, des hommes ardents, dans les églises romanes, chantaient au coucher du soleil des hymnes d’une magnifique élévation à la Reine du Ciel. »