La vocation de la femme

Chère Bertille,

            Tu viens de finir la première partie de tes études, tu as passé tes examens avec succès, bravo ! Tu arrives maintenant à la croisée des chemins. Jusqu’à aujourd’hui, tout te semblait tracé, tu as progressé petit à petit dans les différentes classes de la maternelle au lycée, les études supérieures ont suivi tout naturellement, et maintenant que se profile ta vie professionnelle, tu me fais part de ta volonté de faire une retraite spirituelle pour prendre le temps de réfléchir à ta vocation. C’est une excellente idée, je t’en félicite !

  Par cette lettre, permets-moi de te développer ma pensée au sujet de la vocation, pensée façonnée par ma petite expérience de la vie, et mes différentes lectures.

   Tout d’abord, le terme « vocation » vient du latin « vocare : appeler ». Cela signifie que l’on est appelé pour remplir une mission en vue d’un but bien précis. Pour nous qui sommes catholiques, nous savons bien que c’est Dieu qui nous appelle et que le but de notre vie sur la terre est le Ciel. Pour atteindre ce but, le Bon Dieu nous propose différents états de vie qui sont des moyens pour atteindre ce but. Ces derniers sont la vie maritale, la vie religieuse ou le célibat consacré à Dieu. Avant de me demander quel moyen le Bon Dieu veut que je prenne pour me sanctifier, il me semble important de répondre à la question de la vocation de la femme : quelle est ma vocation en tant que femme ? J’y répondrai en m’appuyant sur les écrits du père Jean Dominique : dans la Genèse il est dit : « Et Dieu créa l’homme à son image, Il l’a créé à l’image de Dieu, Il les créa homme et femme2. » « Dire que la femme fut créée, comme l’homme, à l’image de Dieu, c’est donc la voir toute orientée vers Dieu. La mission fondamentale de la femme est donc d’être tournée vers Dieu, d’être une fille de Dieu qui fait la joie de son père, d’être un miroir de Dieu pour la joie de Dieu. Le premier devoir qui est fait à la femme par l’Ecriture est donc celui de la sainteté et de la vie contemplative3. » . Le second devoir est la maternité : « Or celle-ci, qu’elle soit naturelle ou spirituelle, mobilise toutes les qualités de la mère pour la mission si haute de la transmission et du soin de la vie. Tout l’être de la femme y est comme aimanté par l’intérêt d’un autre, par le service d’une destinée qui la dépasse. La vocation à la maternité épanouit la femme en la consacrant à une fin qui lui est extérieure, son enfant. […] La vocation de la femme apparaît, de prime abord, comme un don >>> >>> de soi, parce qu’il est une œuvre d’amour4. » La vocation de la femme est donc double : une vie contemplative et la maternité.

   Maintenant vient la question des moyens. Quel est le moyen que le Bon Dieu souhaite que j’utilise pour atteindre le but, le Ciel ? Trois grands choix se présentent : la vie maritale, la vie religieuse, le célibat consacré à Dieu. Même si l’état de vie religieuse est plus parfait que l’état de vie maritale ou le célibat consacré à Dieu, si ce n’est pas le moyen que le Bon Dieu veut pour moi, il sera plus difficile de m’y sanctifier. Ces choix sont importants, il faut demander au Bon Dieu la grâce de discernement et la vertu de Prudence pour découvrir le plan de Dieu sur nous, puis les vertus de Force et de Persévérance pour prendre le moyen que le Bon Dieu nous donne dans sa grande miséricorde pour notre sanctification. Pour que ces vertus agissent, il faut une disposition de l’âme, la rendant attentive à la grâce et ayant l’habitude de faire silence pour écouter le Bon Dieu. Ainsi, cette étape de la vie où nous avons un choix important à faire se prépare depuis longtemps, depuis l’enfance. Cette préparation se fait par la réception fréquente des sacrements et par une habitude de vie, notamment pour préparer cette mission de la maternité tant naturelle que spirituelle : « la maternité ne laisse aucune place à la rêverie, au sentimentalisme et à l’égoïsme. Elle est un oubli de soi de tous les instants. C’est pourquoi la jeune fille fera bien de s’initier très tôt à cette loi de la générosité, en particulier par les œuvres de la miséricorde spirituelle (œuvre d’éducation, catéchisme, apostolat), et corporelle (soins des petits, des vieillards et des pauvres), et d’apprendre à y trouver sa joie5. »

   La vie religieuse, la vie maritale ou le célibat consacré à Dieu ne sont pas le but de la vie, ce sont des moyens que le Bon Dieu nous donne pour atteindre notre fin qui est le Ciel. Ce moyen, il faut savoir le choisir avec discernement. Une fois ce moyen identifié, il nous reste une longue route pour atteindre notre but car ces moyens peuvent prendre différents aspects : le célibat est un moyen d’accomplir sa vocation seulement s’il est consacré à Dieu, c’est-à-dire vécu comme un don de soi, une maternité spirituelle, il peut être temporaire (attente d’un mariage) ou définitif (décision prise soit très tôt dans la vie d’adulte, ce qui est rare mais possible dans les vocations particulières, soit, le plus souvent, plus tard, lorsque l’opportunité d’un mariage ne s’est pas présentée); la vie maritale peut être très différente d’un foyer à un autre : il est possible de ne pas avoir d’enfants, d’être mère d’une famille nombreuse, d’être veuve très tôt avec des enfants en bas âge, d’être une maman malade… ; quant à la vie religieuse, elle peut aussi prendre différents aspects : on peut être une religieuse contemplative et cloîtrée, consacrée à l’éducation des enfants, supérieure générale d’une congrégation, sœur tourière, ou fondatrice d’un nouveau couvent… Tant que nous gardons cette disposition de l’âme à être docile au Bon Dieu, nous sommes sûres d’accomplir notre vocation et d’atteindre le but qui est le Ciel.

   Voici, ma chère Bertille, le fruit de ma réflexion. J’espère qu’elle te sera bien utile et te permettra d’accomplir ta vocation de femme.   

                Anne

 

1 Le mot « vocation » est ici employé dans un sens large qui englobe toutes les formes de vie auxquelles Dieu nous appelle.

2 Genèse, I-27

3 Père Jean-Dominique, O.P., D’Eve à Marie, la mère chrétienne, éditions du Saint Nom, 2008, p 9-10

4 Père Jean-Dominique, O.P., D’Eve à Marie, la mère chrétienne, éditions du Saint Nom, 2008, p 11-12

5 Père Jean-Dominique, O.P., D’Eve à Marie, la mère chrétienne, éditions du Saint Nom, 2008, p 12

 

 

Grandir encore!

           Il est grand, beau, élancé, sa silhouette est bien faite. Bien ancré, ses racines sont profondes. Souple mais solide, il fait face aux grands vents et résiste aux tempêtes grâce à sa robustesse mais aussi grâce à ses semblables qui l’entourent et le tirent vers le haut où il trouve la lumière. Il a de l’envergure et met son monde à l’abri ; nombreux sont ceux qu’il protège. Encore dans la fleur de l’âge, il porte déjà du fruit et plus d’une graine prometteuse germe sous son regard !

  On parle de lui, un frémissement le parcourt, il semble incliner la tête mais reste impassible et serein. Le grand hêtre est là, planté dans les grands bois ! Du haut de ses vingt mètres, il peut nous enseigner. Mais quel est le secret de sa force tranquille ?

  Planté en terre fertile par des parents heureux, il a pris le temps de s’ancrer bien profond, il sait d’où il vient, jusqu’où vont ses racines. Qu’un illustre grand-père a servi dans la marine, transformé en un fameux galion sous Louis XIV, qu’un oncle par ailleurs a servi de maître autel. Ses profondes racines lui permettent maintenant d’aller puiser l’eau de la charité afin de protéger sous la fraîcheur de son ombre les plus faibles qui lui sont confiés.

  La tête la première, il monte toujours plus haut vers la recherche de la lumière de l’Amour Divin qui l’éclaire de son rayonnement bienfaisant et lui confère sa prestance. Sans ce soleil, il ne serait rien, il ne serait même pas né. Sa silhouette élancée semble indiquer d’un trait l’origine de la création.

  Mais tout cela est incomplet et en se rapprochant, des cicatrices apparaissent sur son gros tronc bien lisse. Elles nous livrent le secret de cette droiture. La taille, la taille de prime jeunesse, d’une éducation aimante mais exigeante et la taille plus tardive des épreuves et des évènements, des coups de vents de la vie qui ont coupé les rameaux en surplus car ils risquaient d’alourdir l’arbre, de l’épuiser et de l’empêcher d’atteindre la lumière. Ces tailles furent douloureuses, en témoignent la sève encore fraîche, mais à chaque fois, grâce à la lumière divine, à la pluie apaisante et à l’ouvrage du temps, l’arbre s’en est remis. Il a repris une nouvelle vigueur pour monter encore plus haut.

  Mais comment a-t-il atteint cette hauteur immense ? Un arbre seul au milieu d’un champ aurait-il pu grandir autant ? Regardez autour de lui, ses semblables ont grandi avec lui. Et dans une saine émulation, à la conquête de la lumière, ils sont montés tout droit s’aidant les uns les autres et se protégeant durant les tempêtes.

  De nombreuses faînes sont accrochées à ses branches et quand vient l’automne, il féconde la terre. Au printemps suivant, les graines ont germé et plein de petits hêtres grandissent sous son ombre protectrice. Quand sera venue l’heure, il s’effacera pour laisser sa place.

  Pour qui veut l’observer, la nature est pleine d’enseignement et d’inspiration. Saurons-nous comme le grand hêtre chercher la lumière Divine et grandir encore en louant Dieu ?

 

Antoine

 

En avant

           La vie est une marche en avant, puisqu’elle est mouvement. Personne n’a jamais pu remonter le temps, revenir en arrière et changer ce qui fut.

A chaque instant, nous sommes face à deux options : rester immobile, avec nos habitudes et certitudes, sans remise en cause de nous-mêmes, ou bien réfléchir et se poser la question du bien-fondé du comportement qui, spontanément, nous anime.

 

Si je lis le Saint Evangile pour me mettre à l’écoute de la parole divine, voici ce que je trouve :

 

Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent.

Or notre premier réflexe est de nous cabrer, de vouloir rendre le mal au nom de l’honneur (amour propre plutôt) ou de ressasser des mois, des années ce qui nous a blessés, sans chercher à pardonner et à effacer d’un sourire.

Effort de dépassement de notre susceptibilité.

 

Malmené, il n’ouvrait pas la bouche.

  Notre Seigneur, pleinement Dieu, auteur de la création, connaissant le secret des cœurs, vit dans l’Incarnation et la Passion, l’injustice, la contradiction, la calomnie, la trahison.

Cherche-t-il à se justifier, à triompher par la force et le raisonnement de ses ennemis, à se défendre ? Non bien sûr.

  Or nous voudrions toujours nous défendre, ulcérés d’être incompris et moqués ou calomniés au lieu de laisser cela au Seigneur.

  Ce n’est pas le modèle du divin Maître.

  Effort de dépassement de notre orgueil.             

 

Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés.

Que savons-nous du secret des cœurs, de l’histoire et des blessures de chacun ? Des intentions, des bonnes volontés parfois maladroites et du chemin que Dieu a tracé pour chaque âme droite, à travers ses chutes et ses faiblesses.

Peut-être que celui que nous jugeons si sévèrement, sera avant nous dans le Royaume, et qui sait si nous y serons nous-mêmes ?…

  A force de vivre en lutte contre l’esprit du monde, nous finissons par développer une dureté de cœur et une méfiance envers chacun.

  Effort de dépassement de notre vue trop humaine.

 

Pleurez avec ceux qui pleurent, réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent.

Combien de fois restons nous campés sur nos égoïsmes sous prétexte de manque de temps pour ne pas écouter, ou rendre une visite qui soulagerait la peine sans même pouvoir faire autre chose.

Dans la joie, n’avons-nous pas, parfois, une secrète envie de ce qui va bien chez les autres, surtout si nous connaissons des difficultés, en même temps de notre côté. Notre cœur n’a pas alors la simplicité de la joie ou du bien qui se fait sans nous.

  Effort de dépassement de notre égocentrisme.

 

  Dans nos journées, si nous demandons la grâce de voir les évènements comme Dieu les voit, nous avons les moyens de ramer à contrecourant pour ne pas nous laisser emporter par ce qui ternit si vite la beauté de notre âme baptisée et purifiée à chaque confession.

  Alors, au lieu de nous plaindre et de maugréer, rendons grâce à Dieu de ce qu’Il permet pour nous lancer vers le Ciel et faisons feu de tout bois, nous souvenant que celui de la croix fut le préalable de la Résurrection.

  Forts de la foi en la parole divine, de l’espérance du Ciel et de la charité, lançons-nous

  En avant…

                  Jeanne de Thuringe

 

Recevoir et transmettre

Chère Bertille,

            Aujourd’hui je vais te faire une petite confidence, quand j’avais ton âge, vers 17-18 ans, j’avais hâte d’être grand-mère, on pourrait dire hâte d’être à la retraite.

            Cette idée peut te paraître étonnante… Comment peut-on espérer être à la fin de la vie quand on est dans la fleur de l’âge avec une tête remplie de beaux projets et un cœur plein d’espoir et de flamme. Ce qui me donnait envie d’atteindre cet âge, c’était la sagesse des personnes âgées, leur calme par rapport aux différents évènements, leur prudence dans leur prise de décision. Toutes ces qualités que j’admirais en elles étaient liées à leurs expériences, aux épreuves et aux joies qu’elles avaient traversées dans leur vie. Ces qualités sont aussi, sans aucun doute, liées au travail qu’elles ont fait année après année pour mieux se connaître et se corriger. J’avais aussi hâte d’atteindre cet âge pour transmettre à mes petits-enfants ce que j’avais appris, le fruit de mes lectures, de mes réflexions.

   Vois-tu, ma chère Bertille, vivre la période de la retraite dans ces conditions est merveilleux ! Je suis convaincue que c’est dès maintenant qu’il te faut travailler pour préparer la retraite. Tout d’abord, garde cette flamme, cette joie de vivre qui est le propre de la jeunesse. Cette attitude te permettra de tirer profit de tous les évènements de ta vie, que ce soit des moments de joie ou d’épreuves, et ainsi, petit à petit, la sagesse de la vie s’installera. Apprends aussi à bien te connaître, profite des résolutions de ce début d’année pour faire le point et voir si réellement tu sais vraiment qui tu es ! Enfin, ma chère Bertille, prends le temps de lire pour former ton cœur, ton âme, ton esprit. Il faut nourrir ton intelligence pour être en mesure de prendre les bonnes décisions. Je suis actuellement en train de lire les Sept colonnes de l’héroïsme de Jacques d’Arnoux, et te recommande cette lecture qui t’enthousiasmera et te donnera sans doute des modèles à imiter.

   Il y a un autre secret que je voudrais te dire : n’oublie pas de rendre visite ou de prendre contact très régulièrement avec les personnes âgées qui vivent « de près ou de loin » autour de toi : tes grands-parents mais aussi les oncles et tantes et peut-être des voisins ou des amis de la famille. Bien sûr, nous avons tous un devoir de piété filiale envers nos grands-parents, mais que cela dépasse l’accomplissement de ton devoir d’état. Je t’assure que tu t’enrichiras énormément en entretenant une relation privilégiée avec ces personnes d’expérience qui ont tellement à transmettre : l’histoire de ta famille, de notre pays qu’ils ont vu évoluer si rapidement, mais aussi les traditions familiales, et surtout leur regard sur les évènements : ils en ont déjà vus tellement ! Une petite visite régulière, un coup de téléphone et pourquoi pas des relations épistolaires ? Fais mentir le dicton : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… » Puise dans leur sagesse ! Tu donneras ton sourire et un peu de ton temps, et tu recevras tellement !

   Voilà, ma chère Bertille, bien que cela puisse te paraître étrange, tu peux préparer dès maintenant l’âge de la retraite où tu continueras à rayonner, forte de la sagesse et de la pondération qu’apporte l’expérience de la vie.

  Je t’embrasse, et te dis à très bientôt,

  Anne

 

Ses vieilles mains

Jadis elles furent jeunes et fermes, dans l’attente de ce que la Providence leur réserverait, ouvertes à ce que la vie leur donnerait, pleines d’espérance joyeuse et de rêves.

 

Puis elles reçurent les promesses d’un engagement définitif, prises dans des mains jeunes aussi, plus fortes et plus fermes qui se faisaient protectrices et guides tout à la fois, leur remettant d’abord une jolie bague, même modeste, choisie avec amour, et plus tard l’anneau d’or, nuptial, scellant le sacrement.

 

Les enfants venant agrandir la famille, elles se firent caressantes, réconfortantes, tant pour l’époux que pour les petits, affairées aux mille tâches du quotidien.

Raccommodant, lavant, frottant, cuisinant, jardinant, plantant, pansant les petites blessures, brodant, écrivant, jouant de la musique, créant si tels étaient ses dons.

Mais aussi posées sur l’épaule pour encourager ou prendre le jeune visage, comme on tient une coupe pour lui transmettre toute son affection dans les moments difficiles.

 

Souvent jointes le matin en offrande de la journée et le soir en action de grâces avec toutes celles des siens, tenant le chapelet.

Bénissant ceux qu’elles mèneront à l’autel, les remettant à une autre femme qui prendra dans ses mains le relais de tendresse.

Mais aussi de façon cachée, suppliantes dans les peines intérieures, jointes pour implorer les grâces nécessaires et la miséricorde divine pour ceux qui s’égarent autour d’elles, égrenant le rosaire silencieusement pour épancher son cœur de maman auprès de Celle qui est son modèle et son guide.

 

Abîmées par le temps, peut-être déformées par trop de travaux, où les veines marquent davantage comme des traces bleutées qui sont autant de chemins suivis et d’épreuves connues ou cachées.

Pour les générations qui viennent, elles sont parfois reconnues dans la toute petite enfance, juste à un détail de bague ou à un geste familier, rassurantes comme un refuge régulier lors des vacances ou des confidences qu’il est difficile de faire aux parents.

 

Au soir de leur vie, elles seront jointes pieusement, avec le chapelet, le crucifix qui auront été tout leur soutien, ou le linge qui aura scellé les mains du fils prêtre lors de leur onction, si telle fut cette grande grâce familiale.

Ouvertes devant le Seigneur, vides de tous les biens de la terre mais pleines de tous les renoncements, les offrandes et les trésors de grâces qu’Il aura bien voulu y mettre et qu’elles n’auront pas gardé pour elles seules, elles recevront la joie sans fin et loueront Celui qui est.

 

                  Jeanne de Thuringe

 

Le ciel et la terre passeront…

           Si vous avez déjà eu la chance par une après-midi d’automne d’apercevoir au loin le clocher d’une abbatiale sur votre route dans la campagne française, si vous avez saisi la grâce qui passait et que pénétrant dans cette abbatiale, vos oreilles ont été frappées par le chant des moines, si, vous échappant un instant du tourbillon du monde, vous avez fermé les yeux et ouvert vos oreilles, si écoutant l’appel de Dieu vous avez laissé votre âme être bercée par les complies alors, une évidence et une allégresse ont dû, peu à peu, s’imposer à votre cœur et à votre esprit : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas ».

 

  Le chant des moines dans leurs abbayes millénaires, par le contraste qu’il offre avec les saisons qui passent dans notre monde agité et changeant, est la plus forte manifestation sensible de la stabilité et de l’éternité de l’Eglise.

 

Le monde change et les moines demeurent,

Le monde s’agite et les moines prient,

Le monde pleure et les moines chantent,

Le monde crie et les moines louent la grandeur, la beauté, l’immensité de l’amour de Dieu.

 

  Quel contraste frappant entre notre agitation quotidienne pour des choses très importantes à nos yeux et la tranquille activité des moines besogneux qui ont compris que la seule affaire importante est celle de leur salut et qui s’y consacrent jour et nuit.

 

  Quel bonheur de se replonger de temps à autre dans cette « éternité » sur terre ; quel bonheur et quelle grâce de pouvoir ressentir que l’Eglise a la promesse de la vie éternelle malgré toutes les embûches de son pèlerinage terrestre. Cela redonne l’espérance et permet, à l’instar de ces moines, de s’élever hors du temps et de prendre du recul sur notre lot quotidien. Un peu comme lorsque l’on prend l’avion et que soudain vu de haut, le fourmillement que l’on voit sur terre paraît ridicule. Tous ces mouvements que l’on aperçoit de loin de ces voitures qui nous semblaient si rapides, une heure auparavant, semblent si lents. Les déplacements semblent si petits devant l’immensité de la terre et du ciel qui s’offrent à nos yeux, qui est elle-même si petite devant l’immensité de l’univers, de l’espace, du temps et de Dieu.

 

  Méditer dans une abbaye pour s’élever hors du temps, et méditer dans un avion pour s’échapper dans l’espace nous permettent de prendre un peu plus la mesure de notre petitesse et de notre humilité devant Dieu, maître de toutes choses, et pour qui les attaques des petites fourmis humaines sont bien peu de choses face à l’immensité de sa puissance.

 

  Alors haut les cœurs, quelles que soient les tribulations de son navire, Dieu est Dieu et son Eglise est Sainte et Eternelle, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, jamais !

 

Antoine

 

La jeune fille

Chère Bertille,

 

           Je te remercie pour ta dernière lettre : tu t’y plains d’entendre souvent que tout va mal, que la Foi se perd de plus en plus, que les gens n’ont plus le sens du sacré, que s’il y a tant de désordres dans le monde (incendies, guerres, persécutions, mauvaises récoltes de fruits et de légumes…) c’est sans doute que le Bon Dieu est fâché, etc… Loin de te désespérer, et je t’en félicite, tu me demandes comment toi, jeune fille dans le monde, tu peux faire quelque chose.

 

  C’est une excellente question, ma chère Bertille ! A une époque où tout le monde semble se détourner de Dieu, la jeune fille a une place de choix pour ramener l’amour du Bon Dieu dans les cœurs. Saint Pie X disait : « Donnez-moi dix femmes chrétiennes et je referai la chrétienté. » Voyons comment cela peut se faire.

 

  Le Bon Dieu a donné à la femme un cœur rempli de sensibilité et de délicatesse pour aimer et rayonner. Ne dit-on pas que la femme est la reine de son foyer ? La source de cet amour se trouve dans la sainte Eucharistie : c’est en s’unissant à l’amour divin que la jeune fille découvre le sens profond de sa vocation et transmet la Charité de Dieu. Par la sainte Communion, l’âme devient la demeure de la Sainte Trinité, le temple du Saint Esprit. La jeune fille est alors dépositaire d’un grand trésor qu’elle peut transmettre par son attitude, sa joie simple et paisible, sa douceur, sa bonté.

 

  Ma chère Bertille, si tu te laisses conquérir par le cœur de Jésus, Il te transformera et faira croître les vertus qui vont petit à petit changer ton comportement extérieur. Tu as déjà remarqué, je suppose, que nous ne connaissons des gens que ce qu’ils veulent bien nous dire et nous montrer d’eux, et que nous avons vite fait de nous faire une opinion d’autrui à partir de sa tenue vestimentaire, de son comportement en société, de son langage. Notre extérieur traduit donc notre intérieur. Plus tu seras unie au Bon Dieu dans ton fort interne et plus tu auras la volonté de faire rayonner son amour, plus cela paraîtra sur ton extérieur. Saint François de Sales nous dit : « La netteté extérieure représente en quelque façon l’honnêteté intérieure1 ? ». Cette réforme intérieure est la base avant toute autre réforme : « Pour moi, nous dit saint François de Sales, je n’ai jamais pu approuver la méthode de ceux qui, pour réformer l’homme, commencent par l’extérieur, par les contenances, par les habits, par les cheveux. Il me semble, au contraire, qu’il faut commencer par l’intérieur, « Convertissez-vous à moi, dit Dieu, de tout votre cœur. Mon enfant, donne-moi ton cœur » ; car aussi, le cœur étant la source des actions, elles sont telles qu’il est… Quiconque a Jésus-Christ en son cœur, il l’a bientôt après en toutes ses actions extérieures2. » Le père Jean Dominique ajoute : « Le vêtement… est une œuvre d’art. Il a pour but, en effet, d’exprimer avec des moyens matériels, les réalités spirituelles, par le visible, les choses invisibles : « per visibilia ad invisibilia3. »

  Peut-être te demandes-tu comment se manifestent ces changements extérieurs une fois le cœur gagné à Dieu ? Tout d’abord, dis-toi que cela se fait progressivement, tout doucement à la manière du Bon Dieu, via la grâce. Ce changement progressif te conduira petit à petit à notre plus grand modèle, la très Sainte Vierge Marie. Cette Maman que Jésus nous a donnée sur la Croix est toujours prête à nous aider et à nous tirer d’un mauvais pas. Si elle reste bien présente dans ton esprit, elle peut t’aider dans des choix pratiques de la vie quotidienne : la sainte Vierge aimerait-elle cette jupe ou robe que je souhaite acheter ? Est-il bon que je m’habille en homme dans telle ou telle situation ? Comment la sainte Vierge se tiendrait-elle assise dans un fauteuil du salon ? Est-ce que la sainte Vierge emploierait le vocabulaire que j’utilise ?

 

  Si tu te mets ainsi à l’écoute de la Sainte Vierge, tu seras une jeune fille rayonnante, je dis rayonnante car l’amour de Dieu qui brûlera alors dans ton cœur rayonnera par ton attitude et ton comportement et tu feras un bien immense autour de toi : « La femme par sa manière de se vêtir, prouve à son entourage qu’elle possède une âme spirituelle et une mission très haute qui lui donne des relations privilégiées avec Dieu. Un vêtement est beau quand il prêche la noble vocation de la femme4. » Tu ne te rendras certes pas compte de ce bien qui est fait autour de toi, Dieu seul sait tout le bien qui est fait par une belle âme simple. Je pense que si nous le savions, nous en aurions le vertige. En effet, l’histoire de l’Eglise et la vie des saints sont remplies de ces témoignages de conversion de personnes touchées par la bonne tenue et la joie de jeunes filles chrétiennes.

 

  Alors, ma chère Bertille, sois fière d’être catholique et alors tu œuvreras pour l’Eglise et pour la France !

  Je t’embrasse bien affectueusement,

Anne

1 Aux sources de la joie avec saint François de Sales, Chanoine F. VIDAL, p.76

2 Aux sources de la joie avec saint François de Sales, Chanoine F. VIDAL, p.74

3 D’Eve à Marie La mère chrétienne, Père Jean-Dominique, O.P., p.56

4 D’Eve à Marie La mère chrétienne, Père Jean-Dominique, O.P., p.56

 

Notre-Dame de tous les jours

Notre Dame, l’Evangile ne relate aucune action d’éclat au cours de votre vie. Vous avez mené la vie des simples femmes de votre époque, sans que rien ne trahisse votre si belle mission : porter, élever et souffrir avec l’Enfant Dieu.

Dès la lumière du matin et jusqu’à la paix du soir, vos journées étaient semblables aux nôtres, avec le soin d’un foyer et ses humbles tâches quotidiennes, aussi êtes-vous

Notre Dame de tous les jours.

 

Dans le devoir d’état, avec sa lassitude qui parfois nous décourage, ou les petites joies que nous semons autour de nous,

Pour nos efforts que personne ne remarque et qui, sans cesse, sont à reprendre, ou la parole blessante un peu moqueuse,

Pour notre nature faible et rebelle, pour nos misères morales, la déception que parfois nous avons de nous-même, l’amour propre qui nous ne quitte pas et va se glisser subtilement partout,

Pour nos péchés et nos lâchetés, et pour savoir demander pardon,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Pour les jours, mois et années qui passent si vite, pour tous les âges de la vie,

Pour la décision, petite ou grande, à bien prendre pour faire la volonté du Père, pour l’acte de charité à accomplir avec délicatesse et discrétion,

Pour s’oublier lorsque le cœur est lourd et s’unir, malgré notre faiblesse, à la croix, de toutes nos pauvres forces,

Pour ce qui doit nous guider sans cesse sur le chemin du Royaume, le cœur tourné vers le Seigneur comme une boussole,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Dans les grandes peines qui fondent sur nous sans prévenir, quand tout s’écroule autour de nous, que nous pleurons devant le berceau vide ou que les espoirs de maternité sont déçus,

Pour cet enfant qui fait fausse route ou ces amis qui nous abandonnent ou nous trahissent, pour l’incompréhension de nos intentions,

Lorsqu’il faut quitter à regret ceux que nous aimons car l’heure du départ a sonné ou que nos rêves les plus généreux ne se réalisent pas,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

 

Pour la beauté de la Création, qui nous émeut et nous transporte le cœur, pour les petites joies quotidiennes ou les grandes grâces, toutes données par la main divine,

Pour rester fidèle à chaque instant et digne dans notre foi, solide dans les difficultés, confiante en vivant pleinement l’instant présent,

Pour ne pas s’inquiéter du lendemain et être heureuse de ce qui nous est retranché puisque Dieu le veut ainsi,

Pour vos statues dans les églises, ou dans un simple oratoire, au détour d’un chemin,

Pour vos vocables si divers mais qui veulent dire toujours « Mère »

Pour arriver à bon port après vous avoir tenu la main comme celle d’une maman,

Notre Dame de tous les jours, priez pour nous.

                  Jeanne de Thuringe

 

Plongée en eaux profondes

           Les vacances ne sont pas encore si éloignées et peut-être avez-vous encore de bons souvenirs dans la tête. En plein mois d’août, vous étiez sur la côte méditerranéenne et un peu désabusé par la platitude de la mer, le surfeur qui sommeillait en vous en était à regretter les vagues froides mais belles de l’Atlantique. Morne et plate, comme assommée par le soleil, la mer vous a paru pour un instant bien insipide. C’est alors que, voyant flotter le long des rochers un petit drapeau et non loin un tuba émergeant de l’eau, l’idée vous est venue d’aller chausser les palmes à l’instar de ce nageur équipé. Bien décidé à ne pas en rester là, vous voilà harnaché dès le lendemain tel le commandant Cousteau !

 

  Dépasser la première appréhension, réguler votre respiration et palmer en douceur, autant de petits efforts sur vous-même qui sont immédiatement oubliés tant la nouveauté du monde qui s’ouvre à vous vous absorbe. A peine votre masque est-il sous la surface que la lumière change, le bleu turquoise vous fascine, plus un bruit, seule votre respiration vient troubler le silence, le calme est immense. Soudain dans les rayons bleus du soleil qui arrivent à percer, un banc de milliers de poissons vient miroiter tranquillement, vous les approchez, leurs couleurs se dévoilent… Plus loin dans les rochers, une autre tâche rouge sombre attire votre œil. Vainquant votre appréhension, vous prenez une grande inspiration et vous voilà en apnée cinq mètres sous la surface. Les oreilles sifflent et la pression se fait ressentir, mais vous pouvez admirer pendant quelques dizaines de secondes l’étoile de mer qui se cache entre deux rochers. Vous aimeriez rester là à l’observer en détails, mais il faut remonter respirer avant de pouvoir redescendre de nouveau observer les merveilles des fonds marins. Cette fois-ci, ce sont des oursins que vous découvrez par dizaines au creux des rochers.

  De proche en proche, de nouvelles merveilles s’offrent à vous et la mer qui vous paraissait si plate et monotone il y a deux jours, vous apparaît sous son vrai regard, comme un monde immense et merveilleux que vous avez pu à peine entrevoir et que vous rêvez de découvrir encore davantage.

  Il en est souvent ainsi dans la vie, de l’étude et des personnes. Si l’on ne se donne pas la peine de rentrer en profondeur et de percer la surface parfois un peu morne et rébarbative de telle matière en cours d’étude ou de telle personne qui nous semble trop effacée, si les quelques efforts nécessaires pour passer au-dessus des apparences nous rebutent, nous pouvons passer à côté de merveilles qui resteront enfouies dans les profondeurs et que nous n’aurons pas pris la peine de découvrir. Cependant, il nous faut tout de même sortir pour respirer, tel le plongeur en apnée qui remonte chercher de l’oxygène avant d’être de nouveau en capacité et en mesure d’apprécier la beauté perçue. Parfois, il nous faut vaincre la peur de plonger plus en profondeur, souvent dans l’inconnu et sans savoir ce que l’on va trouver. Mais les trésors ne sont pas exposés au grand public ou au touriste consommateur qui passe rapidement à la surface sans aller au fond des choses, sans chercher à véritablement connaître les gens et à découvrir le diamant caché en eux.

 

  Quel que soit le sujet ou la personne, prenons garde à nos jugements hâtifs, prenons le temps de « plonger » plutôt que de surfer sur la vague des opinions toutes faites, le jeu en vaut la chandelle et vous découvrirez ainsi les merveilles de la création que le Bon Dieu a répandues dans son univers afin que ceux qui ont des yeux pour voir puissent le contempler. Sur ce, bon cours de maths et n’oubliez pas l’étoile de mer qui s’est cachée derrière l’intégrale triple.

 

Antoine

 

Le bonheur, c’est d’en donner

Chère Bertille

            Le monde n’est pas glorieux, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut s’enfermer dans la tristesse. C’est tout l’objectif du monde et du Grappin, de nous faire chuter par ce biais là. Alors, nous, jeunes filles prenons le contre-pied, en nous efforçant d’être la joie de tous.

   La joie chrétienne, c’est donner du bonheur aux autres. Le bonheur parfait n’existe pas sur cette terre. Il y a toujours une difficulté, une petite croix. Si on se regarde soi-même, jamais rien n’ira. Mais si notre objectif c’est d’apporter du bonheur aux autres, voilà un but à notre vie. Et tu verras Bertille que faire des heureux, c’est l’admirable moyen d’assurer ton propre bonheur.

Cette façon d’agir t’élève au niveau de Dieu même. L’unique but de Dieu, en nous créant, c’est de nous rendre heureux. Il nous accorde tous les moyens pour l’être : la grâce sanctifiante qui nous fait enfant de Dieu, les sacrements qui nous font participer à sa vie divine, la communion qui permet de vivre en sa présence… Il nous suffit de venir puiser à la source. Cette joie, toute jeune fille peut la donner, car elle est toute spirituelle. Même si tu as un tempérament flegmatique, tu peux procurer de la joie dans ton entourage. Imitons la vie de Notre-Seigneur sur terre. Comment a-t-il fait pour apporter la paix et la joie, partout où il passait durant sa vie publique ? Il ne cessait de faire du bien. Il guérissait les malades, consolait ceux qui étaient dans la peine, convertissait les âmes juste par sa présence. Sa personne toute entière diffusait le bien. Et c’est cela qu’il faut imiter. Pas besoin de grand discours. Juste une présence qui fait penser qu’un être supérieur existe.

  La sensibilité de la jeune fille est très variable, nous le savons, et soumise aux émotions. Pour rayonner cette joie, la jeune fille doit paraître toujours contente et l’être vraiment. Ne soyons pas de ces jeunes filles variables à l’excès, capricieuses qui vingt fois le jour, changent d’humeur, d’extérieur, de manières. Vrais baromètres ambulants qu’il faut consulter du regard avant de les aborder.

  Paraissons toujours contentes, à moins qu’il ne s’agisse de choses où Dieu est offensé, ce qui serait donner une sorte d’approbation. Dans ce cas, il suffit de rester froide et distante. Le secret d’être toujours contente, c’est de prendre tout comme venant de la main de Dieu qui saura son heure venue disperser les nuages et souvent même tirer le bien du mal.

  Être toujours contente, c’est le signe certain de beaucoup d’efforts, de luttes intérieures, d’actes répétés pour pratiquer les vertus d’humilité, de charité, de patience et de douceur. Il faut un certain temps pour en arriver là. C’est un travail de tous les jours avec des chutes mais aussi de glorieuses conquêtes, que Dieu et ses anges admirent et devant lequel le monde lui-même s’incline. C’est l’apostolat de la jeune fille. Que de pécheurs endurcis ont cédé devant le bon visage, devant l’air souriant, devant l’empressement toujours joyeux d’une jeune fille.

   Voilà ma chère Bertille, mes encouragements à pratiquer la joie chrétienne. Tu procureras du bien aux autres mais tu seras aussi récompensée par cette paix intérieure qu’elle te procurera à toi-même.

 Anne