Deus vult

Le petit garçon regarde son cahier d’analyse et lit pour la centième fois la phrase qui lui résiste : « Le chevalier vacilla et tomba par terre.» « terre » …  Quelle est la fonction de ce mot ? Hum … on dirait bien un complément, mais complément de quoi ? Il y a plein de compléments ! Si on lui demandait son avis, Paul dirait qu’il y a beaucoup trop de compléments… Alors, complément du nom ?  Complément d’objet ? Pas sûr, et puis, la terre, ce n’est pas un objet. Et puis pourquoi il tombe ce chevalier ? Le coup était-il si fort ? Il est vrai que son adversaire semble coriace. C’est certain, il va perdre le tournoi. L’exercice de la joute n’est pas aisé : tenir la lourde lance, droite, viser l’adversaire, diriger le cheval, à toute vitesse, affronter sa peur, ne pas détourner le regard … 

 

« Allons Paul, concentre-toi enfin ! On ne va pas y passer la nuit quand même !» La voix de maman le rappelle à l’ordre. Ah oui, c’est vrai ! Quelle est la fonction du nom « terre » ? Car c’est bien un nom n’est-ce pas ? « terre » … Comme la Terre Sainte. Paul pense à son cours sur les croisades. Tous ces chevaliers qui partirent en bateau, à l’autre bout du monde, pour combattre les Arabes et délivrer le Tombeau du Christ. Comme sur l’immense fresque de la Salle des Illustres au Capitole, à Toulouse. Son papa l’y avait emmené le mois dernier. Il avait beaucoup aimé la grande fresque :  Urbain II, sur son destrier, défile dans la ville, précédé par les saintes reliques de l’évêque Saturnin, portées en triomphe. Sur les murailles et dans les rues, toute la ville se tient debout, en fanfare, sous les bannières et les oriflammes. Les chevaliers en armes s’apprêtent à suivre la sainte procession : la ville se lève pour partir défendre Jérusalem. Le comte de Toulouse précède les hommes en armes, la foule crie d’une seule voix. « Paul, je monte habiller ta petite sœur. Quand je reviens, je veux que tu aies terminé tes devoirs. »

Mais Paul est déjà parti avec les Croisés. Il a embarqué dans les hautes nefs et navigue sur la mer, toutes voiles dehors. Il galope dans le désert au pied des murs de la Cité Sainte, le sable fouette son visage, le fracas du fer répond aux cris des ennemis dans la mêlée. Paul tient la ligne avec les Français, son écu et son épée à la main. Couvrant le tumulte de la bataille, Godefroy de Bouillon harangue ses chevaliers.

« Paul, de qui te moques-tu ? Ça fait trente minutes que tu es sur ton analyse. Eh bien tant pis pour toi, ferme ton cahier, tu expliqueras à la maîtresse que tu préfères rêvasser plutôt que faire tes devoirs. Si elle te met un 0, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même ! »

 

Ne sommes-nous pas tous un peu comme Paul ? Parfois, nous rêvons de grandes et belles choses, mais nous négligeons notre devoir d’état. Il est tellement plus facile d’être un saint demain qu’un bon chrétien aujourd’hui, d’être le meilleur employé de l’entreprise l’année prochaine qu’un employé loyal maintenant, d’être l’entrepreneur à succès de la prochaine décennie que de s’acquitter d’abord des engagements déjà pris. Le Bon Dieu n’attend pas de nous que nous soyons des martyrs demain si des hordes païennes hostiles venaient à envahir nos églises un jour, Dieu veut que nous soyons des martyrs des petites choses du quotidien, des petits devoirs qui incombent à notre état, à notre situation actuelle.

 

Pourtant, nous le savons ! Les héros et les saints, grands dans les grandes choses, ont d’abord été grands dans les petites choses. Mieux que cela, nous savons que la Charité n’a pas de limite. Sa mesure est Dieu, sa mesure est l’infini. La Charité doit animer chacun de nos actes, plus notre Charité sera grande, plus nos actes seront grands, même les plus insignifiants, comme passer le balai, apprendre une leçon de grammaire, rédiger un rapport de vente ou enduire un mur de plâtre. Chacun selon sa place. Ainsi croissent les belles fleurs du jardin de Dieu. Parfois, Dieu en cueille une, lui demandant un acte héroïque. Mais cela, c’est la décision de Dieu et non la rêvasserie de l’homme.

 

Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous savons ce que le Bon Dieu attend de nous. Cette résolution que nous avons lâchée, reprenons-la avec vigueur. Ce défaut qu’on traîne depuis des années et son cortège de péchés qu’il entraîne, quand nous attèlerons-nous à le combattre ? Ces tâches quotidiennes qui nous agacent et que nous cherchons à éviter ou à retarder, aimons-les ! Faisons-les avec courage. Elles sont le moyen que Dieu met à notre disposition pour nous sanctifier. Dieu, dans sa sagesse, nous demande d’accomplir ces tâches, quotidiennes, liées à notre profession, à notre place dans la famille, à notre âge, à notre vocation. Il ne nous demande pas d’être courageux dans une vie parallèle, il nous veut aimants et dociles dans cette vie-là, la vie réelle, et aucune autre.

 

Alors, Dieu veuille que Paul cesse de rêver et s’attache à son analyse grammaticale, voilà la Croisade voulue par Dieu pour Paul. Elle comporte aussi sa noblesse, sa sainteté dès lors qu’elle est faite avec Charité. Nous, si notre devoir d’état n’est plus scolaire, nous savons quels sont nos devoirs de père ou mère de famille, d’époux, d’employés, d’homme ou de femme, chacun selon son état, là où Dieu nous a placés. Mettons toute la Charité possible dans notre agir, même dans les choses les plus insignifiantes. Voilà notre Croisade ! Et si les fleurs de son jardin sont belles, Dieu veuille en faire un bouquet, de la manière qu’il Lui plaira et quand Il le voudra. Deus vult !

 Louis d’Henriques

 

« Mode silencieux »

Comment font-ils, nos contemporains, pour vivre dans ce monde qui a perdu la tête ? Comment font-ils, ces gens qui tous les matins, lisent les nouvelles où s’enchaînent les désastres et les tragédies, pour continuer à se lever et à ne pas désespérer ? A l’ouverture du journal, nous sommes submergés par les viols, meurtres, bombardements, tragédies qui ensanglantent notre pays et le monde entier.  

Les peuples se déchirent à l’Est et au Proche Orient, les bombes détruisent des villes en ruine, des peuples entiers se vouent une haine totale prête à tuer femmes et enfants. La Terre Sainte est devenue la terre de la guerre perpétuelle. Les villes des antiques églises des temps apostoliques comptent leurs derniers chrétiens au milieu des fanatiques et des peuples hébétés. Des filles de France sont massacrées par des assassins, souvent étrangers, lâchés dans nos rues par un Etat coupable. Des incendiaires brûlent nos églises en France et jettent à terre les croix de nos chemins. On organise des « cérémonies » blasphématoires et licencieuses avec toujours plus de pompe et de fierté. On se moque de Dieu de manière toujours plus outrancière. On érige le péché en vertu enseignée dans nos écoles et nos universités.

Que faire ? Comment traverser ce torrent de boue qu’est devenu notre siècle ?

Voici deux conseils qui peuvent alimenter notre méditation.

Tout d’abord, un conseil spirituel. Car finalement, que nous dit ce monde ? Ce flot de nouvelles révoltantes porte un enseignement : le péché tue. Le péché tue d’abord la vie de l’âme, parfois celle du corps. Le péché détruit la société car il détruit l’ordre naturel. Sans Dieu, la civilisation meurt et se trouve remplacée par la barbarie. Et pourtant, le péché a été vaincu. Si nous éteignons le bruit que fait le mal dans notre esprit, si nous ouvrons nos yeux pour voir un peu à la manière dont Dieu regarde le monde, alors nous verrons le bien. Les fruits immenses de la Grâce dans les cœurs et dans le monde : le renouvellement des vœux des frères qui se consacrent à Dieu à la Saint Michel ; la vie de prière qui progresse dans le cœur d’un enfant ; les sacrements innombrables distribués chaque jour par nos prêtres ; les nouveaux convertis qui pénètrent dans nos églises ; les enfants, toujours plus nombreux, qui s’alignent sur les bancs du catéchisme ; les écoles chrétiennes, les anciennes qui poussent les murs et les nouvelles qui ouvrent leurs portes. Il y a tant de motifs de se réjouir. Dieu vit parmi nous, d’une manière beaucoup plus présente que toutes ces nouvelles qui nous révoltent.

 

Enfin, un conseil plus pratique. Posons-nous la question suivante : avons-nous réellement besoin de lire tous les jours les nouvelles ? Ce flot continu d’immondices ne nous laisse pas totalement indemne. Oui, pour exercer la vertu de prudence, particulièrement pour les pères de famille, il nous faut nous informer un minimum. Connaître les enjeux nationaux, locaux, y apporter notre pierre pour l’édification d’une cité catholique avec l’aide de Dieu. Nous devons aussi nous informer de la vie de l’Eglise et de ses membres, comme des fils attentionnés. Nous avons besoin de connaître les usages, les tendances de marché, les nouveautés, pour nos métiers ou nos entreprises, pour ne pas nous déconnecter du monde qui reste le monde que Dieu a choisi pour notre sanctification. Internet nous permet d’accéder à des quantités astronomiques d’informations en un coup de main. Mais avons-nous besoin pour autant de regarder les nouvelles tous les jours ? Parfois plusieurs fois par jour ?                        Faisons le test suivant : prenons la résolution de ne regarder les nouvelles qu’une ou deux fois par semaine, par exemple le lundi et le jeudi. Ensuite, remplaçons peut-être les journaux quotidiens par des hebdomadaires ou des journaux qui traitent plus le fond que l’instantané. Les premiers recherchent la réflexion, les seconds ne sont que des marchands d’émotions trafiquées. Enfin, excluons autant que possible les formats vidéo, sauf reportages ou entretiens de qualité. Faisons ce test, et nous verrons des fruits immédiats : nous retrouverons du temps dans nos journées pour lire ou nous occuper des devoirs des enfants. Nous serons moins tristes et affligés. Cela est une évidence ! Mais surtout, nous retrouverons un peu de silence intérieur, propice à la méditation. Soyons honnêtes : ne vaut-il pas mieux approfondir notre connaissance des grandeurs de Marie que de savoir dans l’heure que le chef du Hezbollah a été tué ? Il est évident que la richesse, la durée et la fréquence (voire l’existence même) de nos méditations sont inversement proportionnelles à la quantité des « informations » que nous digérons chaque jour.

Comment le Cœur Immaculé de Marie pourra-t-il triompher à la fin si les bons chrétiens s’intéressent plus aux invectives et petites phrases que nos médiocres politiciens se jettent à la figure qu’à soulever le coin du voile de la Sagesse et découvrir la Largeur, la Hauteur et la Profondeur de la Charité ?

Alors, Hauts les Cœurs !

 Louis d’Henriques

 

Le monde s’affole

Le monde s’affole. Ses idoles sont capricieuses.

D’abord Gaïa, la déesse de la Terre, qui tourmentée par un climat qui perd toute mesure, exige de ses serviteurs d’ordonner toute leur vie, dans les moindres gestes, à ses exigences. Mais rien ne change. Il fait plus chaud, plus sec, les pluies inondent les terres, les ouragans sont plus énervés, alors on s’affole ; il faut aller plus loin, nourrir la bête. Les pythies, nourries aux oracles publiés sur YouTube, ânonnent leurs prophéties de fin du monde.

Puis il y a la déesse du corps, qui accepte les adeptes de multiples cultes : culte du sport érigé comme valeur suprême ; culte de la silhouette et des salades de quinoa ; culte du plaisir dont les limites repoussées avachissent tant de gens dans la fange du péché. Mais voilà, les années passant, le corps montre ses faiblesses, la vie mène à la mort. Alors on s’affole, on tente par tous les moyens d’en repousser l’échéance, par la mode, par la chirurgie, par l’égoïsme du divorce ou de la rupture pour « recommencer sa vie », essayer d’en vivre une deuxième.

Enfin, il y a la distraction perpétuelle, l’information continue, le sensationnel routinier. La politique du caprice et de l’indignation perpétuelle aligne ses coups de théâtre mal joués et ses acteurs en mal de lauriers. De rebondissements truqués en scénarios écrits à l’avance, les « électeurs » inquiets tentent de faire entendre leur détresse identitaire et matérielle. Les prophéties de cracks économiques s’entassent sur internet, jusqu’à ce qu’enfin un prophète finisse par dire vrai. En attendant, les petits épargnants s’affolent et scrutent les cours de la bourse.

 

Et l’âme dans tout cela ? Oubliée, ignorée, méprisée. Qu’attendre de plus de ce monde, devenu pire qu’un monde matérialiste, car apostat ? Comment, nous, Chrétiens, traverser cette époque détestable en gardant vive la grâce de Dieu dans notre âme ? Comment ne pas nous laisser séduire par les pompes de Satan à l’œuvre partout dans ce cloaque qui nous sert de siècle ? D’une manière très simple, en nous vidant de nous-même pour nous remplir de Dieu. En abolissant notre volonté propre, en immolant notre caprice, pour n’être plus que mûs par la Volonté de Dieu, tout au service de sa Gloire.

C’est bien joli, me direz-vous, mais concrètement ? Tout d’abord en faisant du silence notre compagnon. Dieu ne peut nous parler dans le bruit qui désormais est partout. Sachons utiliser internet comme un outil, pour notre travail évidemment, les besoins administratifs, et pour nous informer, avec l’aide de vrais journaux, sur une durée limitée. Pourquoi pas une heure tous les deux jours ? Ou seulement un jour sur trois ? Sachons aussi nous couper des réseaux sociaux, cela est vital pour notre silence intérieur.

Une fois le silence fait, il nous faut prier. Oh ! Pas à la façon des modernes qui recherchent plus un psy qu’un Dieu, une émotion qu’une grâce. Non, à la façon des saints : forts dans les temps de désolation, fidèles dans ses résolutions, en se nourrissant de bons livres spirituels, en méditant et récitant le chapelet. En tâchant aussi de ne pas uniquement demander des grâces au Bon Dieu, mais de savoir aussi l’adorer, le remercier et lui demander pardon pour nos péchés.

Enfin, en fortifiant notre espérance. La Terre peut brûler, la maladie peut frapper, la France peut être aux mains des pourris, tant que nous usons des moyens de salut de notre mère la Sainte Eglise, alors nous avons la certitude d’avoir la grâce de Dieu dans notre âme jusqu’au seuil du Ciel. Cela, nous le savons. Comment ne pas avoir la paix intérieure avec cette certitude ? Si nous n’avons pas cette paix, est-ce parce que nous y croyons ? Laissons-nous Dieu habiter dans notre âme ? Mais plus encore !  C’est avec cette grâce de Dieu chevillée à l’âme que nous pourrons vaincre les maux terrestres qui malmènent notre société. C’est avec la grâce de Dieu que nous serons des apôtres pour gagner des âmes à notre Sauveur. C’est avec la grâce de Dieu que se lèvent de jeunes hommes pour entrer au service de Dieu dans le sacerdoce, que d’autres deviennent frères ou épouses de Jésus-Christ dans la vie religieuse. C’est avec la grâce de Dieu dans le cœur que des foyers chrétiens fendent la boue du siècle pour ériger de petites citadelles et transmettre la foi à une nouvelle génération. Ce sont des âmes pleines de Dieu qui se dressent déjà et se dresseront demain pour œuvrer au Bien Commun dans notre société, à l’intérieur de nos chapelles, mais aussi à l’extérieur, en créant de nouveaux médias, en œuvrant au redressement culturel de notre pays, en montant des écoles, en s’engageant en politique ou dans les œuvres sociales. Notre France, pour renouer avec son baptême, n’attend que de nouveaux chevaliers animés par l’Espérance chrétienne. Le résultat de nos entreprises appartient à Dieu. Notre devoir et notre honneur sont de servir, pas de vaincre. La victoire est dans les mains de Dieu.

Méditons cela en ce temps de rentrée. Laissons le monde s’affoler. Mais réfléchissons plutôt à la résolution que nous pouvons prendre pour faire silence dans notre vie. Quelle règle de prière adopter pour se faire petit enfant dans les mains de Dieu ? Quel engagement prendre pour œuvrer au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Nous verrons comme cela nous apportera la paix du cœur, la paix du bon serviteur certain d’avoir servi fidèlement.

 Louis d’Henriques

 

Le chevalier servant

Pour faire une mère, il faut un père. Dans le plan de Dieu, l’enfant est le fruit de l’amour d’un homme et d’une femme. Si la mère ne peut devenir mère sans le père, et inversement, chacun à un rôle différent à tenir auprès de l’enfant.

L’enfant prend forme dans le sein de la mère, caché pendant neuf longs mois. Puis survient la délivrance, la première respiration, le premier pleur. Les premières années, l’enfant est totalement dépendant de sa mère. Il a besoin d’elle pour se nourrir, mais aussi pour se construire. L’œuvre maternelle fonde le futur de toute une vie. Ne dit-on pas avec raison que le catéchisme le plus durable, celui qui revient à l’esprit au moment de l’agonie, est celui que l’on apprend sur les genoux de sa mère dans ses tendres années ? Cette nourriture corporelle, mais surtout spirituelle, cette vie fondée et élevée les premières années, c’est l’honneur de la mère, son devoir et sa grandeur.

Les premières années, le père est moins important. Disons-le clairement, jusqu’à ses six ou sept ans, un enfant a plus besoin de sa mère que de son père. Tout le temps de la gestation, sa vie dépend directement de la vie de sa mère. Tuez la mère et vous tuerez l’enfant. Puis, l’enfant boit le lait de sa mère. Si depuis quelques décennies, le lait en boîte peut remplacer l’allaitement naturel, par essence, l’enfant dépend encore de sa mère pour se sustenter. Sans elle, il périt. Enfin, les premières années, jusqu’à l’âge de raison, l’enfant est véritablement construit par sa mère. Il apprend le langage parlé et corporel, la reconnaissance, l’hygiène. Il découvre les premières émotions, les joies et les contrariétés, les larmes et les rires, il apprend à dominer ses caprices et à offrir ses premiers sacrifices. Là encore, contrairement à ce que veut nous faire croire le féminisme et notre société moderne qui nie la réalité pour ne pas voir l’inanité de ses idéologies, la mère est la mieux placée pour construire le petit d’homme. Elle a cette finesse psychologique, cette tendresse et cette douce autorité, cette abnégation et ce courage propre aux mères, véritable don de Dieu pour construire le cœur et l’âme des enfants. Qui peut nier une telle évidence ?

Au Moyen-Age, le jeune seigneur passait du monde des femmes au monde des hommes à sept ans. Les années passant, le rôle du père devient de plus en plus important pour construire l’enfant et l’adolescent, sans jamais remplacer la mère pour autant.

Irremplaçables mères, trésors de courage et de sacrifices, à l’image de Marie mère de Dieu, elles immolent véritablement une partie d’elles-mêmes pour leurs enfants. Peut-il y avoir amour plus fort que celui que donne une mère pour son enfant ? La maternité porte quelque chose de mystérieux. La mère donne la vie dans la douleur. La souffrance de l’accouchement, que nul homme ne connaîtra jamais, annonce la grandeur de la mission de la femme : mourir soi-même pour faire éclore la vie. N’y a-t-il pas là une ressemblance avec le mystère de la Croix ? Un cœur de vraie mère est nécessairement un cœur généreux.

Face à ce grand mystère, que les pères tiennent leur place ! Qu’ils soient le roc solide sur lequel leur épouse peut se reposer. Qu’ils travaillent avec courage pour subvenir aux besoins de la famille. Qu’ils soient l’autorité charitable pour guider la famille vers le Bon Dieu. Qu’ils soient le secours généreux pour seconder leur femme quand elle en a besoin. Qu’ils soient la force tranquille pour les travaux pénibles de la maison comme pour les grandes équipées, balades et pèlerinages. Qu’ils soient le modèle de piété et de sacrifice pour leurs enfants. Qu’ils soient les apôtres de l’Evangile dans la cité.

Mais surtout, qu’ils ne cherchent pas à remplacer la mère de leurs enfants. Face au grand mystère de la maternité, que les pères restent à leur place ! Un père ne rend pas service à ses enfants ni à son épouse s’il tente de devenir une deuxième maman…

Avec les enfants d’abord. Ne câlinez pas trop, maîtrisez vos émotions, restez toujours juste, ne couvez pas vos enfants. Ce n’est pas au père qu’il revient de soigner les écorchures sur les genoux ou les petites blessures faites à l’amour-propre pendant la récréation. Non ! Mais jouez avec eux, emmenez-les marcher, courir, apprenez-leur à se relever après une chute, à encaisser une humiliation ou un mauvais mot sans broncher. Montrez-leur comment agir avec honneur et courage. Voilà le rôle du père !

Puis avec votre épouse. Admirez son courage, soutenez-la, remerciez-la, tous les jours. Admirez votre épouse quand elle donne le sein, quand elle berce le petit, quand elle console ou encourage. Remerciez-la pour tout ce qu’elle fait quotidiennement pour le bien de la maison. Dites-lui combien elle vous est précieuse et combien vous l’aimez. Que le poète écrive un poème à son épouse, le musicien une symphonie, que le bricoleur lui fabrique la maison de ses rêves, que le jardinier lui plante une roseraie, que le globe-trotteur l’emmène en Patagonie, que le gourmand lui offre un bon dîner au restaurant, que chaque époux montre à son épouse la reconnaissance qu’il lui doit pour sa mission de mère. Il y a quelque chose de mystérieux dans l’œuvre maternelle. Le rôle du père, c’est d’être le chevalier servant de ce mystère, voulu par Dieu.

 Louis d’Henriques

 

Le Grand Ami

La foule se presse sur les trottoirs pour attraper le prochain RER. Au passage piéton, les automobilistes tentent de trouver un intervalle dans le flot continu, mais il semble qu’à chaque fois un piéton surgisse au dernier moment. Les chauffeurs s’impatientent. Certains finissent par forcer, s’attirant des regards noirs de chaque côté de la chaussée. D’autres klaxonnent. Au milieu, les trottinettes slaloment, manquant de renverser une vieille dame, pestant contre un piéton plus lent que la moyenne. Les cyclistes se suivent en file, le doigt sur la sonnette, prêts à houspiller le premier qui oserait poser le pied sur leur voie réservée. Il y a peu de sourires dans cette foule. Quelques rares éclats de voix brisent le bruit des pas sur le béton, entre deux collègues de travail, le temps de rejoindre l’anonymat du quai. Les visages sont globalement fermés, les yeux rivés sur les écrans ou perdus dans le brouhaha que des écouteurs déversent directement dans leurs oreilles.

Assis sur le béton, un mendiant regarde le torrent humain qui charrie les individus comme des galets qui s’entrechoquent dans le courant. Personne ne voit le miséreux. Il est sale et malodorant. Déshumanisé, il devient invisible. Qui pour l’aider ? Enfin, une parmi un millier, une âme généreuse lui tend la main et glisse dans sa paume crasseuse une petite aumône. La Charité fleurit dans le sourire du misérable et dans celui de son bienfaiteur, que la foule happe de nouveau.

Jérusalem. Les cris ameutent les passants. Des gens, les bras levés, menaçants, insultent un homme seul, entouré d’une troupe de soldats. La foule éructe et crache sur le malheureux. Son corps est une immense plaie. Les yeux sont tuméfiés. La nuque, le dos, les épaules, les jambes sont lacérés par les coups de fouet. La chair est à vif. Reste-t-il quelque chose d’humain chez ce condamné ? Les épines humilient et blessent son front. Ses mains sont liées au patibulum qui lui laboure les épaules. Il ne peut se protéger le visage quand il chute de nouveau, sous les railleries. Il n’a plus figure humaine. Il est comme un ver de terre. Défiguré par le péché, les hommes se détournent de lui et le mènent à la mort, sans pitié aucune.

Qui pour l’aider ?

« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »

Où sont vos « amis », Seigneur ?

Par la Croix, Dieu restaure la dignité de l’homme. Non pas à la façon de l’âme généreuse qui donne l’aumône au misérable du coin de la rue. Non, en se faisant plus misérable que le misérable, afin que le mendiant restaure sa dignité en faisant lui-même l’aumône du peu qu’il a, à plus indigent que lui.

Dieu ne fait pas l’aumône aux hommes. Il se fait plus misérable que le plus misérable de tous les hommes pour mendier notre amour. Il revêt tous nos péchés qui le défigurent et lui ôtent toute apparence humaine. Il porte nos trahisons jusqu’au Calvaire pour les détruire, sous les coups et les crachats, versant tout son sang. Tout cela pour que, pris de compassion, nous l’aimions. Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur terre pour mendier notre Charité. Son Sacré-Cœur veut notre amitié. Il veut notre amitié plus que jamais nous ne pourrons le vouloir.

Ô Dieu Mendiant ! Ô Divin Ami ! Resterons-nous ingrats ? Resterons-nous dans le camp des hommes sans pitié qui l’ont vu dans les rues de Jérusalem et n’ont rien fait, ou pire, qui ont jeté leurs insultes et leurs crachats avec la foule ?

« Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes, et qui reçoit en retour tant d’ingratitudes. »

Le vrai amour est quand celui qui aime est prêt à se sacrifier pour le bien de l’être aimé. Aimons-nous véritablement ? Comment aimons-nous Dieu ? Pour nos intérêts d’abord ou pour Dieu uniquement ? Aimons-nous Dieu pour éviter l’Enfer et obtenir une promotion au boulot ? Ou aimons-nous Dieu pour sa Gloire et uniquement pour sa Gloire, pour répondre à son amitié et ne chercher qu’à Le glorifier ?

« Je ne vous appelle plus serviteurs […] mais je vous ai appelés amis. »

Où sont vos amis, Seigneur ? Vous êtes venu mendier la charité des hommes, qui avez-vous trouvé pour se donner tout entier à vous ?

Que chacun de nous, au fond de son âme, considère le Sacré-Cœur de Jésus qui a tellement souffert à cause de nous, qui ne veut pas faire l’aumône en nous sauvant sans nous, mais qui veut restaurer notre dignité en se faisant plus misérable que nous pour mendier notre charité. Quelle preuve d’amitié ! Il n’y a pas de plus grand ami que Jésus ! Que ferions-nous pour le meilleur de nos amis qui nous a sauvés en donnant sa vie ? Tout simplement donner sa vie en retour. Qu’au fond de notre cœur jaillisse le don total.

Ô Jésus, je vous donne tout, mon âme, ma vie, ma santé, mon corps, mon honneur, mes richesses, ceux que j’aime, tout. Vous voulez tout prendre comme Job ? Faites ! Tout ce que vous voudrez, Ô Cœur divin, tout ce qui vous est agréable, Ô Dieu mendiant, Ô vous Jésus, mon grand Ami.

 Louis d’Henriques

 

Dieu sait

Il fait nuit. La route est longue encore. Le ronronnement du moteur berce les enfants dont la tête repose sur les fauteuils, doucement balancée par les irrégularités du bitume. La pluie tape sur les fenêtres de la voiture. Les faisceaux des phares se brisent en traversant les gouttes plaquées par le vent sur les vitres. La petite fille somnole. La voiture ralentit. La lumière devient rouge vif. Devant, papa et maman chuchotent soudain. Ils s’interrogent sur la raison de ce bouchon à cette heure tardive. La petite fille sort de sa torpeur. Des sirènes se font entendre. L’orange et le bleu des gyrophares inondent la voiture. Dans la lumière, la petite fille voit ses parents se signer. Ils prient. C’est un accident de la route. Il y a des pompiers. Peut-être y a-t-il un blessé, peut-être grave ? Ou pire, peut-être quelqu’un est-il mort ? Qui pour prier pour eux ? Dans le fond de son cœur, la petite fille récite un ave.

Ce petit ave obtiendra-t-il, pour la personne tuée dans l’accident, la grâce de se repentir de ses péchés dans un ultime élan de Charité ? Et par là, lui ouvrira-t-il le Ciel ? Qui sait ? Peut-être ce simple ave, récité en pensée par une petite fille, pourra-t-il mériter la grâce de la persévérance finale pour un pécheur endurci ? Dieu sait.

Combien de fois prions-nous pour les autres ? Oh, nous prions, c’est vrai. Souvent pour demander des choses pour nous-mêmes, plus ou moins directement. Et nous faisons bien. Dieu attend que nous Lui adressions ces prières, pour un besoin matériel, pour affronter une épreuve, pour grandir en sainteté, pour vaincre tel défaut ou éviter tel péché. Nous prions aussi, un peu moins il est vrai, pour demander pardon, remercier et adorer. Nous prions souvent plus facilement pour demander des grâces. Mais prions-nous pour les autres ?

Dieu a donné sa vie pour tous les hommes. Tous. Pas uniquement ceux que nous aimons, dont nous apprécions la compagnie quand nous sommes bien lunés. Non, tous les hommes sont dans les vues de Dieu. D’abord ses enfants, les baptisés, en état de grâce, qui sont nos frères dans la Foi. Membres d’un seul et même corps, nous devons nous soutenir par la prière, à travers les époques et les lieux. Puis tous les hommes, les pécheurs en état de péché, coupés de Dieu, les apostats, les hérétiques, les païens, les impies. Dieu veut leur âme aussi. Prions-nous pour cela ? Qui sait ce que peuvent obtenir nos prières, combien d’âmes elles peuvent moissonner, combien de grâces elles peuvent obtenir ? Dieu sait.

Dieu n’attend pas de vagues prières. Du moins, n’attend-Il pas que nous priions seulement pour les pécheurs en général, pour les fidèles, en vrac. Dieu veut que nous lui adressions des prières pour des personnes précises, celles que nous connaissons et croisons sur notre chemin. Nous avons beaucoup d’avis sur tel ou tel politique, pas toujours très flatteur. Mais prions-nous pour lui ? Pour sa conversion ? N’est-ce pas le premier devoir d’un catholique envers ses dirigeants ? Avons-nous récité un ave pour le mendiant qui nous casse les pieds dans le métro ? Un souvenez-vous pour un collègue avec qui nous aimons prendre un café ? Un pater pour le voisin qui va encore à la messe au village malgré les idées folles que la société a fini par lui faire avaler ? Prions-nous pour notre prochain, celui, bien réel, que Dieu a placé à côté de nous ?           

Ces prières, nous pouvons les adresser à tous ceux qui nous précèdent dans le paradis. Tous ceux qui, remplis de la grâce sanctifiante quand la mort les surprit, ont rejoint notre Père à tous en son sein. La prière et la grâce se moquent des dimensions humaines : peu importe le temps, peu importe que nous priions pour des personnes déjà mortes ou pas encore nées, pour nos lointains enfants ou nos aïeux anonymes, Dieu donne sa grâce.

Enfin, nous l’oublions souvent, mais l’immense cohorte des Elus, les Saints, eux aussi prient pour nous. Du haut du Ciel, ils connaissent nos misères et nos difficultés, ils entendent nos prières et nous adressent les leurs. Tous ceux pour lesquels nous avons prié afin de les libérer du Purgatoire, ceux que nous avons connus sur terre, d’autres aussi, que nous ne connaissons peut-être même pas, ne prieraient-ils pas pour nous ? Ne sont-ils pas nos frères, tous enfants de Dieu ?

Dieu nous a donné ce pouvoir immense d’obtenir des grâces par la prière, pour nous-mêmes, mais plus encore, pour les autres.

Alors, prenons la résolution de ne pas passer une seule journée, sans avoir au moins prié une fois pour une personne en particulier, ne serait-ce qu’un ave. Le facteur, le patron, la boulangère, le voisin, l’original du RER, le mendiant malodorant du coin de la rue, le gendarme qui nous verbalise, le politicien qui déblatère à la télévision, le démarcheur par téléphone qui nous appelle une énième fois, l’inconnu croisé dans un rayon du supermarché, le blessé dans l’ambulance qui nous double sirène hurlante, les défunts du cimetière que nous longeons en voiture, le collègue qui nous casse les pieds en racontant sa vie à la machine à café, la famille qui s’entasse bruyamment sur le banc devant nous à l’église, le lointain ancêtre qui est encore au Purgatoire.

Qui sait ce que nos prières obtiendront ? Dieu sait.

Nous-même, nous avons et aurons besoin que d’autres prient pour nous. Ceux qui sont au Ciel, nos enfants, nos descendants, qui nous l’espérons, prieront un jour pour nous. Mais espérons-nous obtenir des autres ce que nous refusons à d’autres ? Non, cela ne se peut. Et même, avons-nous la moindre idée de toutes les grâces que nous avons déjà reçues par l’intercession des autres ?

Qu’en savons-nous ? Dieu seul sait.

A combien de personnes sommes-nous déjà redevables des innombrables grâces reçues de Dieu qui parsèment toute notre vie, à chaque instant ?

Nous ne le savons pas. Dieu sait.

La seule chose que nous savons, c’est que nous croyons en la Communion des Saints.

  Louis d’Henriques

 

Les pierres qui chantent

Un matin de 1144, avec toute sa famille, Renaud arriva au grand chantier de la cathédrale de Chartres. Il y avait tant besoin de bras aguerris et adroits qu’il fut aussitôt embauché. Le chantier était en effervescence. Le génie francilien s’épanouissait dans toute sa splendeur, offrant à l’humanité les fleurs de l’architecture les plus pures.

Le portail royal, avec ses trois portes tournées vers l’ouest, était recouvert de grandes statues de pierre, aux allures nobles et pleines de pudeur, aux élans profonds et dignes, aux regards débordants de vérité, aux visages francs et rayonnants : une impression de joie douce et vraie transparaissait sur tous ces personnages. Les statues figuraient la vérité de la religion, elles incarnaient l’amour de Dieu, parlaient de sa justice et de sa miséricorde, elles racontaient la gloire des élus et la force des martyrs, elles se lamentaient de la laideur du péché et chantaient la beauté de la vertu, la rédemption, le sacrifice de Dieu sur la Croix, les gloires de Marie. Elles murmuraient la douceur des saisons aussi, la noblesse des travaux de la terre : la vie des hommes vivant de la vie de Dieu même. Et de chaque côté des portails, les deux tours romanes, fortes et douces, montaient vers le ciel.

Renaud fut aussitôt conquis par la force de la statuaire du portail : jamais pareille richesse de statues n’avait été réalisée. Et avec quelle finesse ! Quelle sagesse ! Ce n’était pas un étalage ou une collection de figures, c’était un tout qui se lisait dans son ensemble, un tout qui parlait de Dieu : le portail de droite honorait la Vierge Marie, assise en Madone, son divin enfant sur les genoux ; le portail de gauche présentait l’Ascension au regard du pèlerin, promesse de l’espérance, et enfin, le grand portail central était dédié au Christ glorieux. Le portail de droite, c’est l’Incarnation, c’est le premier avènement de Jésus : sa venue sur terre. Il est offert aux hommes par Marie. Le Messie est précédé par les hommes de l’ancien testament qui le préfigurent : Joseph, Moïse, David. Ce premier avènement de Jésus trouve sa conclusion sur le portail de droite, Jésus monte au Ciel, emmenant avec lui l’espérance des hommes vers les cieux. Le Sauveur laisse derrière lui ses apôtres qui baptisent les peuples. Et le second avènement du Christ, majestueux sur le portail central, c’est celui de l’apocalypse : Jésus sur son trône de gloire, entouré des quatre animaux symboliques des évangélistes sur le tympan, des vingt-quatre vieillards alignés dans les cordons des voussures, et de ses apôtres, assis tels ses assesseurs dans le linteau pour juger les hommes. Et partout, dans les chapiteaux et les jambages entourant les trois grandes portes, se trouve représentée l’humanité : l’humanité qui travaille et accomplit par là sa rédemption. Elle fructifie ses vertus, par le travail de la terre, par l’étude et la méditation, par la pénitence et la prière. Par le labeur, l’homme se fait instrument dans les mains de Dieu, serviteur dévoué offrant ses talents à son maître, chacun à sa place, dans un tout qui dépasse la finitude humaine pour embrasser l’éternité.

Dans la pierre, toute la religion se trouvait résumée, tel un livre saint ouvert sur les âmes. Le spectacle était saisissant ! Renaud le Fort, sa femme, et leurs enfants, furent éblouis. Ce n’était plus de la pierre, c’étaient des visages, des couleurs, des tissus, des drapés, des lumières, des vertus, en un mot : c’était la vérité. La pierre s’effaçait, elle laissait la place aux hommes, aux anges, aux saints, à Dieu ! Elle n’était plus matière, elle devenait credo, elle n’était plus roc, elle était dogme, elle revêtait la vérité, elle portait la Révélation, catéchisme vivant, trésor de Dieu donné aux hommes : il suffisait de lire la cathédrale pour connaître la vérité qui sauve. La petite fille, saisie sur la grande statuaire, sa petite main blottie dans celle de son père, demanda innocemment, du fond de ses grands yeux émerveillés :

– Papa, c’est la porte du Ciel ?

Le père regarda tendrement sa fille. Oui, la petite avait raison ! Ce n’était pas une porte de pierre pour entrer dans un bâtiment terrestre qui se dressait devant eux, c’était la porte sainte de la vérité qui s’ouvrait sur la demeure de Dieu.

– Oui, ma fille, c’est la porte du Ciel !

Et cela était vrai. Cela est vrai.

Il fut un siècle où un peuple chrétien, travailleur, mit ses talents au service de son Créateur, pour parfaire la Création. Chacun à sa place, maçons, tailleurs, charpentiers, vitraillistes, architectes, au rythme des heures saintes, sur plusieurs générations, l’Europe baptisée édifia la demeure de Dieu. Aucune autre civilisation, aucune autre époque ne connut une telle effervescence religieuse. Chaque village se vit doté de son temple, bâti par ses habitants, librement, spontanément. Souvent, ils se rassemblaient tous autour du chantier, dans des tentes et chariots alignés en rond. Ils chantaient les heures ensemble, puis bâtissaient leur église. C’est pour cela que malgré les Guerres de Religions et la Révolution, nombre de villages comptent encore aujourd’hui en leur cœur une vieille église romane, héritage d’un lointain baptême.

Le travail est le châtiment donné par Dieu à Adam, mais il est aussi devenu l’honneur de l’homme qui, soumis à Dieu, offre son labeur en union au Sacrifice de la Croix. Le travail, dans une nature blessée par le péché, est aussi œuvre de restauration. Le travail, dans un monde fini, permet de parfaire la Création en répondant à l’injonction divine de soumettre la terre. Enfin, le travail, dans une vie, c’est aussi l’occasion de faire progresser ses talents, c’est-à-dire les prédispositions que Dieu a placées en chacun de nous pour tel ou tel métier ou activité, et par là, de faire briller un reflet de la gloire de Dieu. Cela est le devoir du vrai chrétien pour chaque époque, chaque personne et chaque métier.

Travailler, faire fructifier ses talents, c’est édifier la cathédrale de son âme. Sursum corda !

 

Bâtir une cathédrale…

 

C’est à l’Éternel qu’appartient la terre avec tout ce qu’elle contient, le monde avec tous ceux qui l’habitent,

Car il l’a fondée sur les mers et affermie sur les fleuves.

Qui pourra monter à la montagne de l’Éternel ? Qui pourra se tenir dans son lieu saint ?

Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, celui qui ne se livre pas au mensonge et qui ne fait pas de serments trompeurs.

Il obtiendra la bénédiction de l’Éternel, la justice du Dieu de son salut.

Telle est la génération de ceux qui te cherchent, qui aspirent après toi, Dieu de Jacob !

Portes, élevez vos linteaux ! Élevez-vous, portes éternelles ! Que le roi de gloire fasse son entrée !

Ps 24.

 Louis d’Henriques

 

L’homme, un « self-made man » ?

Le petit garçon fit glisser les pages de son missel entre ses doigts. Pendant le chant du graduel et de l’alléluia, il avait toutes les peines de monde à empêcher son esprit de vagabonder. Avec ses images, ses signets de couleur, ses douces pages qui défilaient avec un bruit feutré, noircies de noms de saints, de miracles de Jésus et de textes étranges et mystérieux, son missel l’aidait à passer le temps.

Soudain, entre deux pages, une image retint son attention. Sur la photo imprimée, le regard de la vieille dame semblait vivant. Le garçon se souvint. Quelques semaines auparavant, il était allé à son enterrement. La famille élargie, ceux qu’il connaissait comme ceux qu’il n’avait jamais vus, beaucoup de monde était venu prier pour elle, pour qu’elle aille au Ciel très vite. Avec toutes ces prières, elle devait forcément y être ! Le garçon se tourna vers son père et chuchota : « Papa, est-ce que Bonne-Maman va être canonisée ? »

 

L’homme ne surgit pas de nulle part. Il n’est pas un concept désincarné ou un être issu d’une génération spontanée sans racine. Il n’est pas plus un « self-made man » comme disent les Anglais. Bien prétentieux en effet celui qui affirme s’être construit tout seul. Non, nous sommes d’abord la somme de nos héritages, sur lesquels nous bâtissons le petit édifice de notre vie. Dieu a voulu instituer la famille, seule construction naturelle qu’Il fonda lui-même à la Création. De nos parents nous tirons les atavismes qui nous grandissent ou qui nous diminuent, les traits de caractère qui nous façonnent. Mais nous recevons surtout de nombreuses grâces que Dieu a voulu nous donner. Pour l’immense majorité des Chrétiens, la foi nous vient de nos parents, eux-mêmes la tenant de leurs parents. Et ainsi de suite, jusqu’aux lointains aïeux qui un jour se convertirent, peut-être sous la prédication d’un prêtre du siècle dernier, ou plus loin, d’un saint Dominique, d’un saint Martin, d’une sainte Marie-Madeleine ou même de l’un des Douze Apôtres ? Pensons-nous à ces aïeux d’hier, qui d’une certaine manière, nous ouvrent les portes du Ciel aujourd’hui ?

La noble histoire des hommes est celle de ceux qui œuvrent pour le Salut. Nous-mêmes, nous nous inscrivons parmi les générations qui nous ont précédés et qui ont embrassé le baptême. Avec cette grâce insigne qu’ils nous lèguent, nous héritons de nos ancêtres le devoir de demeurer fidèles. La civilisation, comme le Salut, sont le fruit de la fidélité d’une génération envers celle qui la précède. Sur les fondations héritées, les vivants d’un temps apposent leur pierre. Au sein d’une même famille, peu à peu, les membres doivent s’élever, dépasser même leurs prédécesseurs, non parce qu’ils sont meilleurs, mais parce qu’ils ajoutent leur vertu à celle de leurs anciens de même que chaque année ajoute un cerne sur le tronc du chêne, le rendant, au fil du temps, plus fort et majestueux. La fidélité est le cœur de l’esprit de la famille chrétienne. Elle est fruit de l’humilité, de la reconnaissance et de la force. Humilité, car nous ne sommes que des nains sur les épaules d’un géant. Reconnaissance, car sans nos anciens, nous serions des païens ou des barbares. Force, car maintenir à notre époque demande de savoir rester debout quand le monde entier se vautre.

 

L’esprit de famille est éminemment chrétien. Jésus est venu sur terre dans le cadre d’une famille. Toute une généalogie le précède et clame son sang royal. Il a endossé l’héritage maudit des hommes pécheurs et l’a racheté pour nous léguer l’héritage salvateur des Enfants de Dieu. Qu’est-ce que la Foi, si ce n’est la fidélité à l’héritage reçu du Christ ? Qui peut se prétendre  catholique et ne jamais prier pour les morts de sa famille ?

 

Alors comment pouvons-nous continuer la chaîne familiale, qui parfois remonte à travers des siècles entiers ? Comment enraciner nos enfants dans cet esprit salvateur, comment demeurer fidèles ?

En gardant la mémoire des morts. Ces morts dont certains sont déjà peut-être plus vivants que nous dans le sein de Dieu. La longue cohorte des ombres qui peuplent notre histoire familiale doit peupler aussi notre vie, de manière simple et naturelle. Leur présence nous rappelle que nous aussi un jour nous nous présenterons devant Dieu, avec nos bonnes actions et nos péchés. Comme eux, Dieu nous jugera. Comme nous, ils ont été vivants, un maillon dans une chaîne de transmission de la Foi. Au jugement dernier, nous serons jugés sur les conséquences de nos actes à travers les siècles, sur nos enfants et les enfants de nos enfants, tout au long des générations qui se succèdent.

Appuyons-nous sur la vie de nos anciens qui regorge d’exemples et nous édifie. Ainsi, tel grand-père qui fit le choix de la Tradition en 1970 et demeura fidèle, quitte à sacrifier une situation professionnelle, une réputation ou des amitiés précieuses. Ainsi, telle grand-mère qui se dévoua corps et âme pour enseigner le catéchisme et la doctrine à ses enfants, sacrifiant des années de sa vie. Tel autre qui fit des heures de route pour avoir la bonne messe à des kilomètres, tel autre encore qui se dévoua des années durant aux conférences saint-Vincent-de-Paul ou tout autre œuvre de charité. Demeurer fidèle… Toujours !

Enfin, la mémoire des morts nous fera prier pour tous les anciens de notre famille, qui nous précèdent dans l’éternité. Prions pour qu’ils aillent au Ciel, le plus rapidement possible. Prières et chapelets, jeûnes et messes, nous leur devons tant ! Cette douce habitude soulagera les souffrances de nos ancêtres et nous aidera à demeurer fidèles, pour le Salut de nos enfants, ceux des enfants de nos enfants, sur des siècles durant et pour la gloire de Dieu.

« Non, Bonne-Maman ne sera pas canonisée, mais elle te voit et souhaite ardemment que tu pries pour elle. Veux-tu offrir ta communion d’aujourd’hui pour elle ? »  « Oh oui, papa, pour qu’elle aille au Ciel tout de suite.»

Pour nos aïeux, gloire à Dieu au plus haut des Cieux !

 

 Louis d’Henriques

 

Le grand saut

Le soleil se leva brusquement sur le désert de Lybie ce matin du 27 juillet 1942. Dans sa lumière qui déjà chauffait la poussière, quatre Stukas allemands surgirent depuis l’horizon et fondirent sur la jeep des Français. Les mitraillettes hurlèrent dans l’air sec et les rafales secouèrent le sable. Touché à plusieurs reprises, l’aspirant André Zirnheld s’effondra. Son compagnon, au volant, parvint à s’enfuir en empruntant le lit de l’oued asséché. Sous le soleil écrasant de midi, le corps troué de balles, après plusieurs heures de terribles souffrances, l’aspirant Zirnheld rendit son dernier souffle. Dieu l’avait exaucé.

En effet, on retrouva sur lui un carnet, noirci par les pensées que cet homme de lettres devenu soldat parachutiste avait griffonnées. Parmi elles, en faisant glisser les feuilles à carreaux fanées entre les doigts, les pages 16 et 17 attirèrent le regard. Sobrement intitulé « prière », un texte allait entrer dans la légende militaire. Le voici :

 « Je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas le repos ni la tranquillité, ni celle de l’âme, ni celle du corps.

Je ne vous demande pas la richesse, ni le succès, ni peut-être même la santé. Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude, je veux la tourmente et la bagarre, et que vous me les donniez, mon Dieu, définitivement, que je sois sûr de les avoir toujours, car je n’aurai pas toujours le courage de vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste ;

Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas.

Mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi. Car vous seul donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi. »

Très vite, ce texte se transmit parmi les militaires. C’est sur ces lignes qu’en 1961 fut composée la prière du parachutiste que nous connaissons. Ce corps d’élite, guetté par la mort à tout moment, à chaque saut, au cœur des opérations les plus ardues et risquées, choisit la prière de l’aspirant André Zirnheld pour devenir la prière officielle de tous les parachutistes de l’armée française. Ce même corps se plaça sous le patronage de l’archange saint Michel dès 1949.

Que nous enseigner cette prière ? Le parachutiste trompe la mort par une forme de défi. Quitte à mourir peut-être demain, autant se délester tout de suite de tout ce qui nous retient sur la terre et demander ce qui fait la grandeur d’un homme sous le regard de Dieu : la souffrance offerte en sacrifice. Souvent, nous prions pour nos petits horizons, et cela est légitime ! Nous prions pour une guérison, pour obtenir une maison plus grande, pour la conversion d’un proche, pour une promotion ou l’obtention d’un concours. Dieu est notre père, aussi tels des fils, nous nous tournons filialement vers Lui pour obtenir toutes ces choses, tant qu’elles concourent à notre sanctification. Mais peut-être, parfois, oublions-nous la grandeur de la vie sanctifiée par la souffrance ? Peut-être échafaudons-nous nos propres plans, un peu trop confortables, il faut bien l’avouer. Il est si difficile de détruire sa petite volonté propre et de faire totalement sienne la volonté de Dieu. Et pourtant, c’est là la purification que Dieu attend de nous, acceptée, ou mieux, désirée sur cette terre, ou subie pendant des siècles au purgatoire.

Comme pour la mort… Face à elle, il y a deux catégories d’hommes : ceux qui la subissent et ceux qui l’acceptent. Bien orgueilleux celui qui, vivant, se vante d’appartenir à la catégorie de ceux qui accueilleront la mort avec panache ! Bien sage celui qui demande à Dieu de lui donner la force de maintenir, jusqu’au cœur des affres de l’agonie ! C’est là tout le but de la prière du parachutiste. Et même plus encore, quitte à mourir, quitte à souffrir, quitte à devoir tout sacrifier à Dieu, pourquoi ne pas demander cette mort et cette souffrance tout de suite ? Ne sommes-nous pas finalement comme le parachutiste, la porte de l’avion béant sur le vide, prêt à sauter ? Nos courtes vies se termineront toutes par le grand saut dans l’éternité, alors, comme le parachutiste, le chrétien ne doit-il pas sans cesse se préparer et demander à Dieu la force et la foi ?

 

« Mon Dieu, mon Dieu donne-moi la tourmente, Donne-moi la souffrance,

Donne-moi l’ardeur au combat.

Je ne veux ni repos, ni même la santé ;

Tout ça, mon Dieu, t’est assez demandé ;

Mais donne-moi, mais donne-moi ;

Mais donne-moi la Foi ;

Donne-moi force et courage. »

 

Que cette prière, celle des fils de saint Michel, soit pour nous une occasion de méditer sur ce que nous voulons faire de nos vies : un saut totalement abandonné dans les mains de la Providence, attendant, espérant même la souffrance afin de nous sanctifier, de nous sacrifier pour l’œuvre du Salut, le nôtre d’abord, et celui de notre pays et de la Sainte Eglise.

Que saint Michel donne à tous les hommes de bonne volonté la force de sauter, d’embrasser la grande aventure de la sanctification, pour la gloire de Dieu.

 

 Louis d’Henriques

 

La flamme du foyer

Juché sur son cheval, au sommet de la butte, le sultan Muhammed XI Abu Abdallah se retourna et contempla Grenade, sa ville perdue, sa mosquée magnifique, ses jardins beaux à faire pâlir ceux de l’antique Babylone, ses remparts orgueilleux, sa population abandonnée, ses richesses livrées : tout désormais était tenu par les armées catholiques de Ferdinand et Isabelle de Castille. L’homme éclata en sanglot. Sa mère, Fatima, lui lança un reproche resté célèbre : « Ne pleure pas comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme.» La colline qui recueillit le sanglot du Sultan porte depuis le nom El ultimo suspiro del Moro – le dernier soupir du Maure.

Ce matin du 25 août 1248, embarqué sur la nef qui l’emmène vers l’Orient pour libérer Jérusalem sous le commandement du saint roi, le chevalier ne détache pas son regard de la côte qui s’éloigne. La houle ne parvient pas à tromper la tristesse qui envahit son âme. Dieu seul sait quand il reviendra, s’il revient un jour. Il pense à son donjon, à sa femme qui tiendra la forteresse et le domaine en son absence. Il se souvient ce qu’elle lui murmura dans le creux de l’oreille tandis qu’il hésitait à revêtir la croix : « Je préfère un époux loin de moi pour servir Dieu et son roi qu’un époux près de moi qui rechigne à servir. Porte la croix, rejoins le roi à Sète, pour la gloire de Dieu et l’honneur de ton nom. » Alors sa tristesse s’évanouit, le courage affermit son bras. Il se retourne et regarde l’horizon. Au loin, là-bas, la Terre Sainte aux mains des impies aimante tout son être.

Les collines de Torfou sont prises. Les Bleus gagnent du terrain. Cette journée du 19 septembre 1793 sonne la défaite du peuple de Vendée. Les hommes tombent sous les coups du redoutable Kléber. Soudain, c’est la débandade. Les hommes refluent dans le désordre, ils fuient, vers les bois. Les femmes de Tiffauges sont là et leur barrent la route : « Que faites-vous ? Lâches, pleutres ! Retournez au combat, où nous irons à votre place.» A force d’exhortations, les hommes retournent au combat. La victoire des Vendéens fut décisive.

Il revient aux hommes de tenir la cité pour le salut des âmes : conquérir la paix, défendre face aux ennemis, donner sa vie, par le sang ou par le service, pour le Bien Commun. L’histoire regorge d’hommes qui modifièrent le cours des évènements, voire qui l’inversèrent. Les bons, suscités par la Providence, pour le salut des âmes : des saints, des rois, des chevaliers, des soldats, des médecins, des maires, des universitaires, des militants, des avocats, des juges, des paysans, des laïcs et des clercs. Les mauvais, permis par la Providence, pour répandre l’erreur et le vice et empêcher le salut des âmes. Mais qui aujourd’hui aurait le courage de certains de nos aïeux : partir deux, trois, cinq ans en croisade ? Sortir de la tranchée au coup de sifflet, sous le feu ennemi, pour quelques arpents de terre ? Faire rempart de son corps devant la milice de la République venue faire les inventaires pour spolier les églises de nos villages ? Et au-delà de ces situations particulières, qui a le vrai courage de s’affirmer chrétien en toute situation ? De ne jamais raser les murs ? D’aimer Dieu quoiqu’il en coûte, dans chacun des petits actes de nos courtes vies ?

Lors d’un discours à l’occasion de la béatification de sainte Jehanne d’Arc, saint Pie X nous adresse un vibrant reproche : « Que l’on n’exagère pas par conséquent les difficultés quand il s’agit de pratiquer tout ce que la foi nous impose pour accomplir nos devoirs, pour exercer le fructueux apostolat de l’exemple que le Seigneur attend de chacun de nous : Unicuique mandavit de proximo suo. Les difficultés viennent de qui les crée et les exagère, de qui se confie en lui-même et non sur les secours du ciel, de qui cède, lâchement intimidé par les railleries et les dérisions du monde : par où il faut conclure que, de nos jours plus que jamais, la force principale des mauvais c’est la lâcheté et la faiblesse des bons, et tout le nerf du règne de Satan réside dans la mollesse des chrétiens. »

La mollesse des chrétiens… Comme ces mots tancent notre âme ! Soyons honnêtes, le courage a abandonné l’Occident ! Les vieux pays d’Europe, chrétiens jadis, apostats aujourd’hui, ne sont désormais plus peuplés que de pères de famille peureux, préférant changer les couches de leurs bébés et faire rouler une poussette sur le chemin du square que de faire claquer les bannières de chrétienté dans les rues de Paris, que de faire leur signe de croix au travail avant le déjeuner, que de quitter une pièce quand un triste comique se moque de notre sainte religion, que d’accepter avec honneur et abandon les sacrifices quotidiens d’un travail difficile, que de proposer la venue du prêtre à son voisin qui s’approche de la mort, que d’ouvrir un livre ardu pour se former l’esprit.

Pères de famille catholiques, la France fille aînée de l’Eglise, pays chrétien irrigué par la grâce, mourra si vous abandonnez le champ de bataille, non pas celui des rêves épiques d’adolescent, mais celui où Dieu vous a placé, là, autour de vous, tout de suite. Et vous, mères de famille catholiques, ne retenez pas votre mari chez vous, n’en faites pas un domestique. Soyez la flamme du foyer, l’âtre chaleureux où il fait bon revenir après l’âpre combat. Soyez la flamme du foyer qui revigore l’âme de votre mari et de vos fils pour qu’ils soient des hérauts portant haut la flamme de l’âme apostolique dans la cité. Derrière chaque homme, il y a une mère ou une épouse qui lui donne le souffle pour soulever les montagnes.

Que nos maisons soient le cénacle, quarante-neuf jours après Pâques, afin que demain, dans un grand souffle de vent, le Saint-Esprit suscite une Pentecôte familiale. Courage, Dieu est avec nous, il y a tant d’âmes à sauver ! La nôtre en premier lieu.

 

 Louis d’Henriques