Revêtu de la croix

           Fermez les yeux et imaginez. Noël 1247. La grande nef de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. On devine les piliers dans l’obscurité qui portent la grande voûte de pierres, invisible, mais on la sent envelopper l’édifice de sa lourde chape jetée dans les hauteurs. Elle caresse le ciel. Au-dessus, les grandes tours qui transpercent le ciel comme la lance transperça la Victime parfaite sur la Croix pour répandre son précieux sang sur le monde. Les chevaliers et barons se présentent à l’appel du roi saint Louis. Des chanoines leur donnent un grand manteau, comme le veut la tradition : le roi offre une lourde cape de fourrure de vair à tous ses barons et officiers de cour. Les hommes d’épée la revêtent en silence, puis s’avancent dans la nef. Le roi porte la même cape, comme ses hommes, serviteur parmi ses serviteurs. Les psaumes des matines enveloppent l’assemblée, chant éternel, c’est la prière de l’Eglise qui honore Dieu et lui fait pencher la tête sur la misère de l’humanité. Le temps semble suspendu. Avec les laudes, le soleil levant pénètre dans le grand vaisseau de pierres, teinté des couleurs des immenses vitraux qui chantent le saint peuple de Dieu. La lumière découvre les piliers, les chapiteaux, les voûtes, les arceaux… et dévoile la croix cousue de fils d’or sur les capes des chevaliers. Le roi l’a faite coudre sur l’épaule droite des manteaux qu’il a donnés. Personne n’ose l’enlever, personne n’ose se dédire. La croix fait le croisé. Le soleil de la vigile s’était couché sur une armée de chevaliers, le soleil de la Nativité se lève sur une armée de croisés.

 

  Ainsi sont les hommes : il faut des signes extérieurs pour exprimer les grandes choses et l’œuvre de la grâce. Là est toute la sagesse de Dieu. Les sacrements sont des signes sensibles qui donnent la grâce. Sans ces signes, nous ne croirions pas. Nous avons besoin de toucher et de voir pour sonder l’insondable, pour nous attacher un idéal de vie. Un croisé sans la Croix portée sur sa tunique ? Un moine sans robe et scapulaire ? Une religieuse sans voile et rosaire pendu à sa ceinture ? Une église sans cloche ? Impensable ! Tout doit être incarné, sans quoi tout reste trop abstrait, intouchable, inatteignable. Dieu Lui-même s’est fait homme pour que nous puissions Le voir et Le toucher, et même Le manger. Mais les laïcs seraient-ils exclus de cette règle ? Non, bien sûr que non. Un catholique doit porter la grâce dans toute sa tenue : ses paroles, ses attitudes et ses vêtements, il doit refléter modestie, politesse, charité, douceur, humilité et beauté de Dieu.

 

  Nous vivons une époque fascinante : un catholique qui reste profondément catholique en 2021 est un croisé dans son âme. Certes, nous ne portons pas d’épée ni n’avons de puissants destriers lancés sur les sables du Levant, mais nous portons notre foi comme un étendard dans le vent, à la face des hommes, pour la gloire de Dieu. Sans âme de combattant, nous serions emportés par les flots de notre société déchristianisée. Comme le croisé porte la croix, le catholique en 2021 porte sa Foi, non pas sous le boisseau, mais comme une torche crevant les ténèbres. S’il est plus difficile de rester fidèle à notre époque, il est d’autant plus facile de devenir un saint. Maintenir est déjà héroïque. Comme cela est enthousiasmant ! Nous sommes des croisés, les derniers Justes qui empêchent les foudres de Dieu de faire pleuvoir le feu et la cendre sur la France. C’est comme cela qu’il faut vivre notre Foi aujourd’hui : comme une croisade, la quête de la sainteté dans un monde livré à Satan. Cette croisade passe par le vêtement, reflet de notre âme régénérée par la grâce sanctifiante.

 

  Dans cette croisade, le père de famille a une place particulière. Comme le roi revêtit ses barons de la Croix, le père de famille a une responsabilité pour que ses enfants aiment et revêtent l’attitude du chrétien. Dieu jugera les chefs plus lourdement que tous les autres. Ainsi, si le père démissionne et ferme les yeux sur les attitudes et tenues de ses garçons et filles, Dieu lui demandera des comptes. Messieurs, un peu de courage ! Ne battez pas en retraite ! Votre fille descend un matin avec une tenue scandaleuse ? Renvoyez-la se rhabiller. Vos filles ne sont pas des tas de chair à vendre au marché, même si elles sont jolies. Elles sont des enfants de Dieu avec une âme qui a coûté le prix du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, des âmes destinées à contempler Dieu dans l’éternité. Votre fils se présente pour la messe du dimanche mal rasé et en tee-shirt ? Renvoyez-le se raser et passer au moins une chemise, mieux, une cravate ! Il n’est pas une de ces idoles masculines actuelles, féminisées et pleurnichardes. Non, il est un fils de Dieu, destiné au courage et au sacrifice, au commandement et au don de soi pour devenir un saint, un réceptacle vivant de la gloire de Dieu pour la faire briller sur les hommes et la cité. Va-t-on en croisade sans la Croix ? Pouvons-nous être profondément chrétien si nous nous accommodons avec l’immodestie et la vulgarité ? Non !

 

  Pères de famille, endossez votre rôle de chef. N’attendez pas l’adolescence, veillez dès l’enfance à la bonne tenue de la famille : les bonnes habitudes, comme les mauvaises, se prennent tôt. Faites-le avec amour et douceur. Interdire ne suffit pas. Il ne fera que susciter incompréhension et révolte à l’adolescence. Il faut d’abord encourager et complimenter. Quand votre femme et vos filles sont joliment et décemment habillées, dites-leur qu’elles sont belles ! Car c’est tout simplement vrai. Veillez à ce qu’elles aient de jolies choses à mettre. Nous n’empaquetons pas nos filles dans des sacs de jute pour pommes de terre, et nous n’étalons pas leur chair à la vue de tous, au milieu se trouve une ligne de crête sur laquelle marchent toutes les filles et les femmes qui rayonnent de la beauté des grandes âmes. Sortez votre carte bleue s’il le faut ! Il existe beaucoup de possibilités aujourd’hui de trouver des vêtements, même à petit budget : couture, seconde main, braderies, ou sur internet, etc. Enfin, le plus important, quand votre femme et vos filles sont jolies, dites-le leur !

 

  Pères de famille, rappelez-vous : Dieu est notre père à tous, et vos enfants se feront une idée de l’amour de Dieu, leur père du Ciel, à travers vous qui êtes leur père de la terre. Soyez patients, fermes et doux, encouragez et complimentez, reprenez s’il le faut, mais surtout, aimez vos filles et votre femme ! Elles valent mieux que toutes celles qui malheureusement errent dans les ténèbres de la luxure.

 

  Enfin, une dernière chose : l’habit est le reflet de l’âme. Une belle âme mettra de beaux vêtements, une âme sèche et sans profondeur ira plus facilement se réfugier dans les artifices du monde, et cela se verra dans le vêtement. Alors nourrissez les âmes de vos enfants, garçons et filles. Nourrissez-les de grands idéaux, de belles histoires, d’activités saines, de passions incarnées et réelles, de moments familiaux riches et simples, promenades, veillées, chants, pêche, potager, randonnées en montagne. Nourrissez les âmes de vos enfants ! Alors, ils auront faim et soif de beauté, et ils iront se désaltérer à la source de toute beauté : Dieu. Ils seront les saints et les croisés de notre temps. Et qui sait ? Peut-être Dieu les appellera-t-Il à son service pour sa plus grande gloire. Prêtre, moine, religieuse : la plus grande et la plus belle des aventures. Sursum corda !

 

Louis d’Henriques

 

O joie!

           Le petit garçon est dans son lit. Toute la famille vient de dire la prière du soir devant le crucifix. C’est le moment des bisous avant de dormir. Papa et maman font la tournée des petits, chacun dans son lit, attendant leur bonsoir. C’est le moment des petites confidences, des petits secrets, des questions existentielles pour les petits. Parfois ça dure longtemps. Les enfants sont malins, ils aiment jouer la montre pour retarder le moment où l’on éteint la lumière. Mais ils ont raison ! Car souvent le soir, comme par magie, le Ciel semble s’ouvrir sur les petits cœurs. Point de magie là, simplement la grâce, les dons de Dieu.

  L’aînée veut confier un secret. Elle raconte les petits sacrifices qui ont parsemé sa journée, telles des fleurs sur les marches du Paradis. « Aujourd’hui, j’ai donné mon goûter à une camarade qui l’avait oublié. Comme Jacinthe de Fatima, pour les pauvres pécheurs ». Sa petite sœur ouvre son petit carnet de confidence. Malgré les fautes d’orthographe, on y lit : « Jésus, je vous donne mon petit cœur et toute ma vie. Je veux devenir une sainte pour vous aimer ». Le petit garçon attend son tour. Il trépigne d’impatience. Parfois il appelle. C’est son tour. « Papa, saint Pierre, c’est la première pierre de l’Eglise ». « Oui Pierre, c’est le premier pape ». « Alors, si saint Pierre est la première pierre de l’Eglise, moi je veux être la deuxième pierre de l’Eglise ». La petite dernière veut raconter quelque chose, plus pour imiter les autres. Débout, se dandinant sur ses jambes, accrochée aux barreaux de son lit, elle explique doctement que la sainte Vierge est la plus belle car elle est la maman de Jésus.

  Ô joie !

  Ces petites âmes ne se rendent pas compte des bienfaits de Dieu dans les cœurs. Qui le peut ? Le Saint Esprit souffle sur la terre, comme le Verbe souffla à la Création. Il souffle dans les cœurs. Les âmes se gonflent, déploient les voiles de la sainteté et montent vers le Ciel. Oh oui, cela n’ira pas sans chute, sans faiblesse, sans trahison, sans la confession, sans se purifier dans le sacrifice de la croix. Mais Il souffle ! Comme lorsque saint Pierre enthousiaste s’écria à la question du Christ demandant qui il est : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Pour tous ces beaux mots, comme à saint Pierre, Jésus dira à ces enfants au soir de leur vie : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas : car ce n’est pas la chair et le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux ».

  Ce n’est pas la chair et le sang ! C’est Dieu qui nous sanctifie, c’est Dieu qui fait éclater sa gloire dans le terreau de notre faiblesse, dans l’écrin de notre nature si misérable. Nous, les seules choses que nous faisons seuls ce sont nos péchés. Tout le reste appartient à Dieu. Comme cela est consolant ! Ô joie ! La seule chose que nous avons à faire c’est de nous endormir avec lui dans la barque malgré la tempête, c’est de nous laisser guider par Lui, de Le suivre. De nous vider de nous-mêmes avec tout ce que cela coûte, pour nous remplir de Lui. Ô joie !

Parfois, devenir un saint peut sembler difficile. Nos résolutions durent peu, nos ardeurs s’essoufflent avec la routine, nos forces s’amenuisent avec les obstacles. Et peu à peu, nous nous ramollissons. Cela parce que nous sommes encore trop pleins de nous-mêmes, trop appuyés sur nos petites forces ; Et pourtant… et pourtant si nous nous reposons en Dieu, tout sera plus simple. Croyons-nous que les martyrs étaient des personnes surentraînées, au mental d’acier, infaillibles ? Non ! Ils étaient comme nous. Mais la force qui les habitait et les faisait préférer la mort et la torture au péché n’était pas la leur. C’était celle de Dieu ! Croyons-nous que les apôtres au lendemain de la Pentecôte étaient soudain devenus forts par eux-mêmes, suite à une séance de « team building » ou de « coaching de la confiance en soi » ? Non ! Ils étaient les mêmes, mais simplement, remplis de Dieu, ils déplaçaient les montagnes. Cela ne serait-il plus vrai ? Le Saint Esprit ne soufflerait-il plus ?

N’avez-vous pas remarqué, notamment vous messieurs, comme beaucoup de vos collègues de travail sont tristes ? Et pourtant, nous vivons une époque qui ressasse sans arrêt les mêmes rengaines : être soi pour être heureux, avoir confiance en soi, s’épanouir au travail par la passion, s’accomplir personnellement, penser à soi, prendre du temps pour soi… tout cela est mensonge ! Nous vivons probablement l’époque la plus triste possible. Les gens sont tristes. Vivre pour soi, vivre avec soi au centre de tout, est le meilleur moyen de se rendre malheureux. Beaucoup finissent par jeter l’éponge les conduisant parfois à l’irréparable.

  Ô joie ! Avons-nous oublié la force qui habitait les martyrs ? L’émerveillement de saint François devant la beauté de la nature ? Les danses de sainte Thérèse d’Avila dans le secret du cloître ? Les chants et les poèmes joyeux de saint Jean de la Croix ? Le sourire de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ? Les belles tranches de rires de saint Jean Bosco et saint Dominique Savio dans la cour de récréation ? La joie de Monseigneur Lefebvre ? Les personnes qui nous ont édifiés dans notre vie par leur sainteté, étaient-elles tristes ? Cherchons bien dans notre mémoire : nous réentendrons leurs rires salvateurs, leurs yeux pétillants de joie, leurs farces et bons mots. Comme cela contraste avec notre époque morose, prête à s’entretuer demain pour des histoires de santé, d’heures gagnées en espérance de vie, d’argent trop donné ou pas assez donné aux autres. Epoque où tout le monde fait la morale, mais quelle morale ! Epoque où tout le monde a raison et s’insulte par internet. Mais jamais ne on parle de l’essentiel. Et Dieu dans tout cela ? Tout le monde s’en moque.

Et pourtant… Lui seul donne la joie. La joie des saints. La joie des petits enfants le soir avant qu’ils ne s’endorment, pour un sacrifice ou une prière fait dans la journée et confié à sa maman. La joie qui pétille dans leurs yeux. Alors oui petit Pierre, tu seras une pierre de l’Eglise. Si tu aimes Dieu, si tu l’aimes de tout ton cœur, si tu l’aimes joyeusement, tout le reste ne sera rien. Tout le reste disparaîtra. Tout le reste s’envolera dans le néant. Mais toi, petit Pierre, tu seras une pierre de l’Eglise triomphante au Paradis pour contempler Dieu joyeusement, dans le ravissement de la musique des anges.

Ô joie ! Hauts les cœurs !

  « Mon Dieu, changez pour moi en amertume toutes les choses de la terre, et en douceurs toutes celles d’en haut : venez à moi pour me tendre la main, me tirer de l’affliction qui me presse et me remplir de joie » – Imitation de Jésus-Christ, III, 11, 4.

Louis d’Henriques

 

Pentecôte 2021

           Les pieds poudreux mais la joie chevillée au cœur.

           Ils ont marché. Les Catholiques ont marché. A travers les champs de blé. En famille. Je les ai vus, ces fous. Tandis que la France déconfinée se ruait dans les supermarchés, les fous ont marché. Sous la pluie, dans le vent et le froid de ce mois de mai. Des fous vous dis-je … De grosses chaussures aux pieds, mal protégés de la pluie par des ponchos froissés, fatigués, tirant ou portant les plus petits. Parce qu’ils ont marché en famille ces fous.

Si vous n’avez pas eu la chance de les voir passer, laissez-moi vous raconter !

 

  Imaginez un troupeau de familles, des pères, des mères, des ados, des enfants de tous âges, beaucoup d’enfants, oh oui, comme vous ne pouvez l’imaginer. Du bruit, de la joie, des sourires, des pleurs, des grimaces, des farces, des larmes, des rires, les voilà qui passent.

Devant, des bannières, portées par des garçons aux bonnes gueules ! Oui, ils ont des bonnes gueules ces garçons, prompts à pousser un fauteuil ou prendre une poussette, à se précipiter au-devant d’une maman pour la décharger d’un sac ou d’un petit, enthousiastes pour remplacer un porteur de bannière ou pour entonner un chant plein d’entrain. A la pause, un ballon surgit d’un sac, et les voilà qui improvisent un foot. Dans la joie et la fougue de l’âge des grandes aventures de quinze ans. Oui ils ont des bonnes gueules ces garçons sans capuche sur le visage, sans écouteurs dans les oreilles, sans pieds qui traînent, sans regard désabusé sur le monde. Ce sont des garçons pleins de vie, turbulents et débordant d’énergie, ils sont la promesse des hommes de demain. Ils portent les bannières comme leurs ancêtres les étendards de Jeanne devant Orléans, comme les drapeaux fleurdelisés sous le feu des Bleus.

Puis il y a les filles ! Elles sont belles ces filles, pas comme le monde moderne le pense. Oh non, elles sont si loin de cela ! Car ces filles-là, regardez-les bien, elles portent la promesse de la vie au fond des yeux. Elles chantent, elles rient, elles sont généreuses et enthousiastes. Leurs rires sonnent dans le vent comme résonnent les chants des alouettes haut dans le ciel, leurs silhouettes gracieuses sont comme un champ de blé sous la brise. Ces filles-là, elles sont pleines de vie, de cette vie qu’elles donneront un jour pour inonder la terre. De cette vie pas seulement naturelle, mais surnaturelle, la vie de Dieu dans les âmes.

Au milieu de la troupe, marchent les mamans, les courageuses mamans. Enceintes, ou tirant un petit par la main, ou même deux, portant un bébé dans les bras ou en bandoulière, s’enquérant sans cesse des uns et des autres, s’oubliant elles-mêmes, elles marchent. Elles portent tout le monde. Elles sont comme des madones, des madones couronnées, elles sont les mères de famille. Gloire à ces femmes qui marchent, qui donnent la vie au milieu de ce monde égoïste qui voit la maternité comme un esclavage, voire la déchéance de la femme. Elles brillent comme des phares dans la nuit, illuminant la génération qui vient des trésors de la génération qui s’en va.

Puis il y a les pères de familles. Ils sont là, ils commandent et entraînent, guident et encouragent, veillent et protègent sur la route, dirigent les méditations, au micro ou devant avec la carte. Ils sont l’étrave pour fendre la mer et ouvrir la voie, le gouvernail pour guider, la corne de brume pour alerter, les mâts et les voiles pour pousser le navire, l’armature de bois pour le faire tenir contre la vague en un tout insubmersible et mener la troupe au port du salut.

  Voilà la troupe des familles catholiques qui chante sur les routes ! Le prêtre est au milieu d’eux, comme le Pasteur au milieu des brebis. Lavant les âmes, célébrant la messe, instrument de Dieu pour donner la grâce sacramentelle. Pendant la messe tous chantent, s’immergent dans des actions de grâce profondes, après la communion, goûtant aux délices de la présence de Dieu. Tous les visages, recueillis, s’inclinent devant le Créateur et l’adorent. Si la grâce divine pouvait être visible, sûrement qu’elle prendrait cette forme-là ! « Venez Esprit Saint, remplissez le cœur de vos fidèles, il se fera une création nouvelle, et vous renouvellerez la face de la terre ». Ô Dieu, vous le faites déjà, et nous le voyons, dans le visage de ces gens qui marchent, pâle reflet de ce que vous accomplissez dans leurs âmes !

Ils sont là, à genoux devant Vous. Dans leurs jambes et leurs pieds, la fatigue de la route. Les pieds poudreux mais le cœur heureux. Le corps fatigué mais le cœur en paix. Ils viennent là avec tous leurs soucis, les tracas de la vie terrestre. Un enfant malade, une croix à porter, une situation financière précaire, un travail difficile. Ils portent sur eux la misère de leurs péchés, de leurs lâchetés, de toutes les trahisons dont par faiblesse ils se sont rendus coupables. Ils jettent tout cela à vos pieds. Ils marchent aussi, submergés par la peur de l’avenir qui semble aux mains des impies. La France malmenée, trahie, livrée à l’étranger. L’Eglise tourmentée, moquée, assaillie de toute part, le Christ Roi tourné en dérision, ses droits bafoués. Cette pauvre Eglise, ils la voient souffrir, elle dont la lumière semble disparaître sous les Ténèbres de l’erreur, de l’hérésie, du loup dans la bergerie. Alors ils portent toutes ces misères et ces peurs sur leurs épaules. Ils se sentent parfois seuls. Faibles. Terrassés. Mais vous, Ô Dieu, vous vous tenez au milieu d’eux. Vous prenez leurs fardeaux. Vous avez porté la croix, jusqu’à la mort, pour détruire tout péché et toute misère. Vous avez déjà détruit leurs fardeaux au Golgotha.

 

  Et Vous donnez votre grâce, en abondance, comme un flot fougueux et impétueux, comme un fleuve puissant qui façonne la terre et irrigue les champs. Vous donnez vos dons pour que la lumière brille. Pour que, comme les flèches de la cathédrale jaillissent soudain au-dessus des blés, des saints jaillissent de ces familles Catholiques. Des prêtres, des religieux, des religieuses ! Des Jeanne, Geneviève, Thérèse, Zélie et Madeleine. Des Louis, François-Xavier, Foucault, Pierre, Dominique et Augustin. Des pierres pour rebâtir la cathédrale. De l’huile pour la consacrer. Du pain pour devenir votre Corps et nourrir les âmes, du vin pour devenir votre Sang et les abreuver. De l’encens pour honorer votre majesté, jusqu’aux hautes voûtes de pierre, et au-delà, jusque devant votre saint trône de gloire. Des cierges, des torches immenses pour éclairer les cœurs perdus, rassembler le troupeau. Ô Dieu, inondez de vos dons ces familles qui Vous aiment et l’ont montré en marchant, suscitez parmi eux des âmes saintes que Vous moissonnerez au temps que Vous voudrez. Et même, que tous ces enfants aux cœurs purs deviennent prêtres ou religieux si Vous le voulez. Vous moissonnerez ces âmes belles et généreuses, forgées par le sacrifice, dans les petites choses, par les petits oublis de soi dans la vie ordinaire. Ces petits riens offerts chaque jour pour votre gloire, qui sont comme les pas du pèlerin patiemment mis l’un devant l’autre sur les routes de Chartres, ces petits riens qui préparent les grands cœurs pour qu’au jour du dernier sacrifice l’armée des saints se lève.

Ils ne sont pas seuls dans ce monde dégénéré, les trompettes de l’Eglise triomphante sonnent avec eux, c’est là qu’ils vont, c’est pour cela qu’ils meurent au péché, qu’ils meurent au confort et aux plaisirs, qu’ils mourront peut-être demain sous le fer des impies.

 

  Peu importe la mort, car au bout de la route se lèvent les flèches de la cathédrale. Car au bout de la route se dressent les portails triomphants de la Cité céleste. Car au bout de la route sont les délices du repos en Dieu après le sacrifice de la marche sur terre. Car au bout de la route la gloire de Dieu illumine dans les siècles des siècles.

 

  Il n’y a plus de roi. Ils l’ont tué. Il n’y a plus de paysans, ils assassinent les derniers. Il n’y a presque plus de prêtres, ils les ont profanés. Mais il y a encore des pèlerins. Beaucoup de pèlerins. Leurs drapeaux et leurs chants claquent depuis la terre à la face du Ciel ! Les assassins, les impies, tous ceux qui haïssent Dieu et ses enfants, ce sont eux les vaincus ! Dieu a détruit le péché et vaincu la mort. « Et il se fera une Création nouvelle ». La voilà cette Création nouvelle, elle marche à la Pentecôte, sur les routes. Elle avance, rachetée par Jésus-Christ, baignée des dons du Saint-Esprit, elle marche vers la Cité céleste pour chanter la gloire du Père. Alors vous autres, Satan et ses esclaves, retirez-vous, les saints Anges combattent avec eux, Marie, forte comme une armée rangée en bataille, les couvre de son manteau, Dieu Lui-même, les prend dans sa main. Retirez-vous, Satan et autres esprits mauvais, laissez les fils de Dieu, les gueux de la terre, entrer dans la gloire !

 

Louis d’Henriques

 

Au cœur de la nuit, la lumière brille !

           Une petite leçon d’espérance. Ah les hommes ! Créature si stupide qui veut tout contrôler, relever les murs de la cathédrale avec ses propres mains, ses propres forces, oubliant la leçon de Babel. Alors on s’excite, on débat, on donne son avis à tout va, sur un réseau social, en commentaire d’un article sur internet, à la sortie de la messe, sur le parking de l’école, pendant un dîner. Parfois, on s’enflamme, on s’énerve, on vitupère, on condamne, on juge, on s’érige en théologien, expert en droit canon, conseiller stratégique. On parle, on parle, on parle encore. Stupide créature ! Nous sommes comme Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Mais nos oreilles ne sont pas ouvertes, notre cœur ne veut pas entendre. Formule rhétorique, jeu de l’esprit, si loin de la vérité. Jésus ne nous répond pas comme il n’a pas répondu à Pilate : à quoi bon si nous ne voulons pas entendre la réponse.

  Aujourd’hui, l’homme se sent surpuissant, alors qu’il n’a jamais été autant dans l’erreur. Conséquence du trop plein de choses que nous lisons sur Internet ? Qui n’a pas déjà donné son avis sur le vaccin à ARNm alors qu’il y a seulement 2 mois, on ne savait pas ce qu’était l’ARNm ? Qui n’a pas affirmé avec force, haussant la voix, que la piqûre contient une puce GPS pour nous traquer ? Qui n’a pas balayé de la main une étude scientifique au prétexte qu’on s’estime meilleur climatologue ? Le réchauffement climatique est un complot pour nous asservir, la preuve, chez-moi, il a neigé en mars ! Bêtise humaine… et cette bêtise prend des proportions dramatiques quand il s’agit de donner son avis sur le sermon de dimanche, sur les supposées accointances libérales de tel prêtre, sur la pédagogie d’une école jugée à la dérive, sur la direction que prend la Fraternité, manquant de prudence ou de fermeté. Voilà que nous jetons des anathèmes, que nous jugeons à tout va, sans avoir jamais ouvert un livre, lu une question de la Somme Théologique, parcouru un article du droit canon. Dieu nous demandera des comptes pour chacun des mots qui sortent de notre bouche ! Alors repensons à toutes les bêtises que nous avons dites. « Qu’est-ce que la vérité ? ».

  Bien sûr, nous devons nous former, nos devons utiliser notre intelligence, et nous préparer à faire les choix que nos parents ont faits en suivant Monseigneur Lefebvre, en restant fidèle à la Tradition de l’Eglise. Mais combien gagnerons-nous à nous taire ! Combien gagnerons-nous à faire confiance, à écouter le prêtre, ses conseils, ses remontrances, ses admonestations ? Combien gagnerons-nous à accepter de ne pas tout comprendre avec nos forces humaines, mais au contraire, se remettre tout entier dans les mains de Dieu ? Combien gagnerons-nous à fortifier notre espérance ! Au milieu de la nuit, la lumière brille !

  Essayons, juste une fois, de nous taire et d’écouter. Essayons, juste une fois, de laisser parler les autres, ceux qui savent, ceux qui ont été glorifiés par Dieu, ceux qui vivent de Dieu. Nous nous verrions bien à la place de l’abbé en chaire, on ferait mieux que lui. Mais lui a donné sa vie entière à Dieu. Quand l’Eglise par la voix de l’évêque l’a appelé, il a répondu adsum. Mais nous, avons-nous commencé à jeûner ? Avons-nous commencer à faire oraison ? Avons-nous commencé à mener un combat acharné contre notre défaut dominant ? Avons-nous commencé à aimer Dieu de tout notre être, à chaque instant, chaque seconde qu’Il nous donne, lui sacrifiant tout, lui donnant tout, nos pensées, nos mots, nos soupirs, nos joies et nos peines ? Avons-nous commencé à faire ne serait-ce que le premier pas vers la Sainteté ? « Qu’est-ce que la vérité ? ». Si nous tendions l’oreille, nous entendrions notre conscience au fond de nous, elle nous murmure « tais-toi, tu ne sais rien, alors tais-toi. Regarde la vacuité de ta foi, regarde la petitesse de tes sacrifices, regarde le peu de persévérance de tes résolutions, regarde ton manque d’ardeur à aimer. Chut, tais-toi, mets-toi à l’école de l’Evangile ».

  Mais le monde est si noir, devrions-nous donc vraiment nous taire ? Ne rien faire ? Que ceux que Dieu a placés dans une situation de crier la vérité le fassent ! Que ceux à qui Dieu demande de témoigner, en versant leur sang s’il le faut, le fassent ! Que ceux à qui Dieu a donné autorité sur d’autres hommes, autorité temporelle ou spirituelle, utilisent cette autorité pour guider les hommes ! Quant aux autres : cessons de regarder le monde avec nos yeux d’hommes, échafaudant mille plans d’hommes, mille calculs d’hommes. Non, cherchons uniquement la sainteté, le sacrifice total, la pénitence, la prière, l’amour, l’imitation de Jésus-Christ, et souvenons-nous que Notre Seigneur a vaincu la mort, anéanti le péché, et qu’Il l’a fait au plus fort de la nuit, quand tout semblait perdu. Le monde court à sa perte ? Le monde sombre dans le péché, les ténèbres ? Oui, c’est vrai ! Mais c’est au cœur de la nuit que surgit la lumière. Ceci est la vérité ! En vivons-nous ? Nous ne sommes que de passage sur cette terre, nous sommes créés pour rendre gloire à Dieu. Pas une seconde à perdre, allons-y, en silence, le cœur plein de Dieu !

Quid est veritas ? Lumen Christi !

On ne devient pas un témoin de la vérité en palabrant ou commentant le sermon de l’abbé, on devient un témoin du Christ en sacrifiant chaque instant de notre vie à la Gloire de Dieu, dans les plus petites choses, avec constance, avec persévérance, avec humilité, là où Dieu nous a placés. Tous les témoins du sang sont passés par-là ! Voilà notre espérance.

 

  Souvenons-nous de saint Pierre qui jura ne jamais trahir mais trahit, trois fois. Alors il pleura, alors il expia, alors il donna tout à Dieu, et un jour, il versa son sang, et par humilité, demanda à être crucifié la tête en bas. Demandons-lui le courage de voir la vérité en face : lumen Christi !

 

Louis d’Henriques

 

La grande leçon de la terre

           Voici ce que Mgr Lefebvre déclara pendant le sermon de son jubilé sacerdotal, à Paris le 23 septembre 1979 : « Et je souhaite que dans ces temps si troublés, dans cette atmosphère si délétère dans laquelle nous vivons dans les villes, vous retourniez à la terre quand c’est possible. La terre est saine, la terre apprend à connaître Dieu, la terre rapproche de Dieu, elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail. »

Quelle belle phrase ! Quelle profonde vérité !

  Il convient de s’y pencher quelques instants. Pourquoi la terre ? Qu’est-elle ? Pourquoi y retourner  ?

  La terre, la nature, est au Ciel ce que le corps est à l’âme. Comme notre corps, elle sort des mains de Dieu. Comme notre corps, Dieu nous commande de la dominer, non pas de la dominer par une puissance destructrice si caractéristique de notre époque moderne où l’homme se fait Dieu. Non ! Il faut dominer la terre par une puissance humble qui, soumise aux lois divines, parfait la création, construit les paysages, laboure et sème les champs, coupe et plante les arbres, draine et canalise l’eau, dans le respect des générations passées et au service des générations qui viennent. Le travail de l’homme qui parfait la création est à l’image du travail de l’esprit sur le corps, il est une métaphore de la pénitence, de l’ascèse, du travail de la grâce qui parfait notre âme.

  La terre est une école, une école de vie, une école de Dieu. Elle ancre dans le réel et élève notre âme aux vérités spirituelles. Plus on s’en éloigne, plus on perd le sens des choses, plus nous sommes déracinés, plus nous devenons comme une feuille morte que les vents du temps emporteront où bon leur semble, plus nous serons comme trop de nos contemporains, influençables, malléables, manipulables et manipulés par les appétits insatiables des « grands » de ce monde. Mais si nous vivons proche de la terre, alors nous nous mettons à l’école du Créateur à travers sa création. En cela, la terre libère !

  Bien sûr, tout le monde ne peut devenir agriculteur ou éleveur. Et pourtant, la France n’a jamais été aussi belle que lorsque son peuple paysan labourait et semait. En revanche, l’on peut se rapprocher de la terre si on ne peut en vivre, « quand c’est possible » comme le dit Mgr Lefebvre. S’éloigner de la ville, déménager à la campagne, y aller dès que possible. Nous pouvons nous mettre à l’école de la terre. Planter, semer, récolter, se faire humble face aux lois de la nature, supporter les caprices de la météo, voilà une école de la confiance, de l’abandon, de la Providence. Observer, se laisser surprendre par une mésange ou un lièvre, apercevoir l’ombre furtive d’un renard, contempler une fleur, voilà une école de la méditation. Travailler dehors, couper du bois, bécher, planter, désherber, tailler, voilà une école de la persévérance, du goût de l’effort. Chasser, débusquer un canard, abattre un chevreuil, voilà une école de la patience et du bon sens, rappelant la place unique de l’homme dans la création.

  Oui, la terre « rapproche de Dieu ». Dieu n’a pas créé les fleurs, les oiseaux, les arbres et toutes les beautés que renferme la nature pour l’unique plaisir des scientifiques qui répertorient tous ces trésors. Non, Dieu a créé tout cela pour que nous nous émerveillions, pour que nous contemplions. Dieu ne fait rien au hasard ! Un rouge-gorge se perche sur un rameau devant vous ? Regardez-le, admirez-le, considérez ses perfections, sa gorge rouge et fière, ses petits yeux noirs pressés, à l’affût du danger. Il ne sème ni ne moissonne, et pourtant notre Père du Ciel le nourrit. Cette petite créature n’a pas croisé votre route par hasard, alors en le voyant, pensez à Dieu, remerciez-le pour sa bonté, pour la beauté de sa création, pour ses dons innombrables qu’il nous donne sans cesse, chaque jour. Et rappelons-nous que toute la beauté de la Création n’est rien comparée à la beauté d’une âme remplie de Dieu, n’est rien comparée à la beauté du sacrifice d’un enfant, d’un acte de vertu d’un homme, du don renouvelé d’une épouse, de la douceur d’une mère.

  Alors, relisons cette exhortation de Monseigneur Lefebvre. Voyons comment nous pouvons nous mettre à l’école de Dieu en retournant à la terre, retourner à Dieu en nous mettant à l’école de la terre.

 

Louis d’Henriques

 

Chef dans les mains de Dieu

           Quel grand mystère ! Dieu a voulu que la grâce du salut passe par ses créatures. L’Eglise d’abord, portée par sa cohorte de papes, d’évêques, de prêtres, de moines et de religieuses : foule d’hommes souvent faillibles et pourtant qui contribuèrent à transmettre la vérité infaillible de la foi. Mais les hommes aussi, les pères, les mères, les frères et les sœurs, tous les Chrétiens, dans la main de Dieu, deviennent comme des ciseaux, des maillets, des chasses, des burins, des pointes qui cisèlent les pierres de l’Eglise, qui construisent cet édifice qui traverse les siècles : l’œuvre du salut. Quel grand mystère !

  Comment des hommes, tous pêcheurs peuvent-il contribuer ainsi à l’édification de la gloire de Dieu ? Comment tout cela ne s’est-il pas déjà écroulé ? Emporté par le tumulte du péché, les ténèbres de l’orgueil et les vagues des impies ? Parce que l’Eglise est divine, parce que la grâce inonde le monde, parce que Dieu sait et voit tout, parce que son plan éternel prend en compte le mal et le péché pour en tirer un bien plus grand encore. Comme sa Passion mène à sa Résurrection. La Passion est marquée par la haine du sanhédrin, la trahison de Juda, le reniement de Pierre, la lâcheté des apôtres, la complicité cruelle des Romains, la couardise de Pilate : le péché a tué Dieu. Tout semblait perdu. Tous ces hommes étaient libres, ils n’étaient pas prédestinés à haïr, salir, cracher et tuer. Non ! Ils l’ont fait librement, là est leur crime. Mais Dieu a tenu compte de leurs péchés pour vaincre le péché, Dieu a tiré des ténèbres un bien plus grand : au milieu de la nuit resplendit la lumière de la Résurrection. Ainsi va l’histoire de l’Eglise et du Salut. Voici son grand miracle, le sceau de son origine divine : elle traverse les siècles et édifie la gloire de Dieu, fondée sur la misère et la faiblesse des hommes.

  Dans le plan de Dieu, après le sacerdoce de l’Eglise, vient le père de famille. Dieu lui donne charge d’âme, Dieu veut que l’œuvre du salut passe entre ses mains, qu’il soit libre d’aimer. Il n’est pas esclave, ni prédestiné, ni perdu dès la naissance, entraînant les siens dans sa perte. Non ! Dieu veut des pères de famille qui soient des chefs de famille. Qu’ils posent des actes, qu’ils agissent en Chrétien, qu’ils se donnent corps et âme à l’œuvre divine : pour leur famille d’abord, pour la cité ensuite. Voilà le rôle du chef de famille : continuer l’église dans le foyer, continuer la chrétienté dans la patrie, continuer la rédemption au milieu des hommes. Fidélité !

Mais, me direz-vous, tout s’effondre aujourd’hui. Les ténèbres envahissent tout. L’Eglise même semble disparaître, s’effacer, perdre sa foi, travestir sa charité. La société sombre. Elle a pu survivre quelque temps, s’accrochant aux restes de la loi naturelle que des siècles de Chrétienté avaient ancrée dans son cœur. L’occident vit sur les dividendes de la chrétienté qu’il a tuée. Mais sans la sève, l’arbre pourrit. Aujourd’hui, même ces restes naturels qui faisaient illusion disparaissent. Le monde s’avachit dans le péché et s’abrutit dans les ténèbres. Dieu ne guiderait-il plus la marche du monde ?

  Dieu nous préserve de nourrir de telles pensées. Oui, Dieu guide la marche du monde ! Grand mystère. Chaque homme est libre, libre de pécher, libre de se sanctifier. Mais pourtant, Dieu guide la marche du monde, Dieu tient nos vies entre ses mains, comme la prunelle de ses yeux. Non pas nos vies naturelles, mais nos vies surnaturelles, notre éternité. Le génie de Dieu est de savoir faire surgir le bien du mal, la lumière de la nuit. Souvenez-vous sa Passion qui mena à Pâques ! Il est en pareil de notre époque si laide. La nuit est là … mais au milieu de la nuit surgit la lumière. Méditez-cela, pères de famille, et alors vous retrouverez l’entrain d’agir. N’oubliez jamais cela, Dieu veut construire l’œuvre de son salut par nos actes. Alors agissons ! Ne cherchons pas à tout contrôler, tout savoir, tout maîtriser. Agissons selon nos moyens, à notre place. Agissons en pensant que le temps est long, que nous semons mais ne récolterons peut-être pas. Agissons en chrétiens, confiants en la Providence. Mais surtout, agissons ! Agissons humblement, laissant la main de Dieu intervenir. Laissons-nous surprendre par Dieu : nos plans sont rarement bons. Laissons-nous surprendre, par les grandes comme par les petites choses du quotidien, ces petits riens que Dieu glisse dans les plis du monde pour nous élever vers lui. Apprendre à se laisser surprendre, c’est apprendre à se laisser guider. Nous serions plus comme saint Pierre, à brandir une épée pour finalement rater notre coup et faillir ensuite. Non, agissons comme saint Jean, sainte Véronique, sainte Marie Madeleine, et plus encore, comme la mère de Dieu qui eurent le courage d’accompagner le Christ au milieu d’une foule qui lui crachait au visage. Quel acte de courage ! Et si nous sommes faibles comme saint Pierre, pleurons aux pieds de Jésus pour nous revêtir de sa force, la force du martyr. Au bout de la nuit, la lumière éclatera.  

 

Louis d’Henriques

 

La prière des pères de famille

           « Qui tient la femme tient tout », s’exclama Jules Ferry, lorsqu’il plaida pour l’école laïque obligatoire. Son objectif était de faire main basse sur les consciences. Pas uniquement les consciences de son temps, mais celles du futur. Aussi voulut-il étendre l’emprise de la République laïque sur les femmes, qui souvent restaient au foyer et élevaient les enfants et les consciences de demain dans la foi catholique. Le catéchisme, la foi, la France éternelle s’est transmise ainsi pendant des siècles, sur les genoux des mères de famille parlant à leurs petits enfants.

  Comme Jules Ferry avait raison ! Peu à peu, la République pénétra les foyers, jusque dans leur intimité. Peu à peu, elle s’empara des consciences, cachée derrière les vanités. Elle avança drapée d’illusion, aidée du matérialisme et du confort, et en deux siècles, elle déchristianisa la Fille aînée de l’Eglise. La mainmise sur les consciences a tué la force d’un peuple autrefois chrétien. La République a violé les foyers, et cherche toujours à étendre son emprise totalitaire. Aujourd’hui, les Français sont démunis, désarmés, désemparés. Ils n’ont rien en quoi espérer, rien après quoi vibrer, ils s’accrochent à leurs idoles éphémères et meurent avec elles. Ils ne savent plus écouter le silence, prier, chanter, se tourner vers leur Créateur. Non, ils se prostituent et se livrent corps et âmes au premier charlatan, au premier marabout venu leur promettre richesse, confort et divertissement avec force bruit et plaisirs. Au fond de leur cœur, certains sentent le grand mensonge, ils sentent qu’on se moque d’eux, que sous couvert de fausse liberté on les enchaîne. Mais le mensonge progresse et continue son œuvre : appauvrissement moral et désormais matériel de ce peuple autrefois grand, réduit à pleurer ses cathédrales en feu sans en comprendre le sens, jeté sur les ronds-points pour crier son désarroi de se voir mourir, sans personne pour lui tenir la main, tétanisé à l’idée de se rappeler qui il est, humilié au point de battre sa coulpe sans cesse pour des crimes idéalisés au détriment de ses vrais péchés. Un peuple peureux, esclave parce qu’il ne sait plus se mettre à genoux.

  Mais il reste des chrétiens en France. Ils sont dans les foyers où l’on prie. D’abord les mères de famille, qui toujours sur leurs genoux annoncent la bonne nouvelle évangélique et transmettent la foi dans leur sacerdoce maternel. Mais plus encore par les pères de famille ! L’on a fait croire que les bondieuseries étaient choses de bonnes femmes, que les hommes vont au bistrot tandis que leurs épouses vont à l’église. Mensonge !

La prière des mères continue l’Eglise, la prière des enfants attendrit le cœur de Dieu et enchante tout le Ciel, la prière des prêtres est la seule à même de sauver l’Eglise, mais c’est la prière des pères qui reconstruira la chrétienté. Un chrétien n’est grand que lorsqu’il a le genou en terre, humilié, adorant son Dieu, le suppliant de le sanctifier et de sanctifier les siens. Le père de famille est le chef des âmes que Dieu lui a confiées. Il doit les conduire au Ciel. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dira qu’elle découvrit l’amour de Dieu à travers l’amour de son père ; quelle responsabilité !

           Quel fils n’a pas compris beaucoup des choses de Dieu lorsqu’il surprit un matin ou un soir, son père, à genoux dans le salon, droit comme un « i », dignement et simplement abandonné dans les mains de Dieu. Qui n’a pas eu envie de prier à son tour, de découvrir la profondeur de l’intimité avec Dieu, de devenir un saint, rien qu’à voir son père prier ?

  Si la République a déchristianisé la France en prenant en otage les femmes, le cœur du foyer, Dieu reconstruira la France par la prière des pères de famille, par la tête du foyer. Quand un homme se met à genoux, droit, les yeux levés vers le ciel, c’est le regard de Dieu qui se pose sur la terre. Voilà la responsabilité des pères de familles : de preux à pieux, seule une lettre change, le « i ». Droit comme un « i » …

 

Louis d’Henriques

 

 

Les pieds sur la terre, les yeux dans le ciel

           Qui n’est jamais resté à contempler un arbre immense, au tronc fort et puissant, les racines enfoncées dans le sol, affleurant sous l’humus, et les branches hautes, déployant un riche manteau de feuilles abreuvées de lumière ? Qui n’a jamais contemplé ces arbres immenses sous le vent, chahutés par les bourrasques qui parfois arrachent les feuilles, font ployer les branches, mais l’arbre tient ! Il tient car il a ses racines enchevêtrées dans la terre. Pourquoi l’arbre monte-t-il ? Parce que la lumière le nourrit. Le sol lui donne l’eau et les minéraux. Mais c’est la lumière qui le nourrit. C’est elle qui lui permet de fabriquer sa substance. L’arbre, le seul être qui se nourrit de lumière… Si d’autres arbres plus grands l’empêchent d’accéder à la lumière, l’arbre meurt. Il meurt de faim. Toute sa force, ses racines, son bois dur, sa résistance au vent, tout cela concourt à une fin : boire la lumière.

  Qui n’a jamais laissé ses yeux courir le long d’un pilier de cathédrale, depuis sa base jusqu’au chapiteau, et au-delà, les nervures de pierre qui courent le long de la voûte et s’embrassent à son sommet ? Quelle force émane de ces pierres, empilées les unes sur les autres, droit vers le ciel ! Pour lancer la clef de voûte dans les hauteurs, pour la faire voler au-dessus de la nef, pour la faire naviguer sur le ciel, il faut un pilier fort, un pilier puissant. Il a les pieds dans la terre, ses fondations ancrées dans le roc, pour s’élever vers le ciel et porter des murs fins, ouverts par de large baies qui boivent la lumière. Cathédrale de lumière, portée par des piliers qui permettent aux vitraux d’inonder la maison de Dieu de sa clarté, comme le tronc permet aux feuilles de boire la lumière.

  Il y a dans ces deux images une image de la force ! Le pilier de cathédrale, comme le tronc de l’arbre, est fort et puissant. A les regarder, ils portent la terre elle-même. Ils s’ancrent dans le sol, dans notre monde terrestre pour s’élever vers le ciel. Ils font de la terre leur support, leurs racines, mais c’est la lumière qui les nourrit, c’est la lumière qu’ils cherchent, c’est après elle qu’ils soupirent. Et pour la rejoindre, ils se plient aux lois éternelles : le pilier est droit, le tronc est droit, sans cela, ils chuteraient. Le pilier est plein, faits de pierres taillées et jointes entre elle, sans cela il s’effrite sous le poids de la voûte et ne traverse pas les siècles. Les lois des poids et des masses, les lois des matériaux, les lois de l’eau et de la vie, les lois éternelles, voulues par Dieu, sont le chemin, la route, la direction au bout de laquelle brille la lumière.

La force est humble. Elle part de la terre, de l’humus, de là où nous sommes, de là où Dieu nous a placé. Elle est enracinée. Point de rêves, point de mythes, une simple réalité pure et belle. La force ne peut s’acquérir en dehors du plan du Dieu. La force est tournée vers Dieu. La force trouve sa source en Dieu.

La force est patiente. La force s’acquiert peu à peu, avec persévérance : pierre après pierre, le pilier monte. Année après année, le tronc s’épaissit, ajoutant une ligne de vie aux cernes accumulées. Effort après effort, petit renoncement après petit sacrifice, nous montons vers la lumière.

La force est obéissante. Elle suit les lois éternelles, elle suit le plan de Dieu. Si elle veut s’astreindre des lois, elle faillira. La force n’est pas vanité, n’est pas indépendance. Elle s’inscrit dans un tout : le père de famille, la mère, l’enfant, le prêtre, comme l’arbre dans la forêt ou le pilier dans la cathédrale, à sa place, construisent un tout à la gloire de Dieu.

Soyons des piliers de pierre, soyons des troncs d’arbres immenses, pour trouver la lumière et honorer Dieu.

          Louis d’Henriques

 

La cohérence

           Ou plutôt, la mise en conformité de notre vie avec nos principes catholiques, la dilution de notre volonté dans celle de Dieu. Se vider de soi pour se remplir de Dieu. « Heureux qui n’a de coeur que pour Dieu et que Dieu dans le coeur« , dit le proverbe.

           Derrière ce voeux pieux, derrière les jolis mots, prenons le temps de nous examiner sérieusement. N’avons-nous de coeur que pour Dieu ? Non, évidemment, nous sommes faibles et n’avons pas assez de toute une vie pour se remplir de Dieu. Mais alors, si une vie ne suffit pas à se remplir de Dieu, nous sommes-nous attelés à la tâche ? Le joug est doux, la moisson abondante.

Nos enfants sont avant tout des âmes que Dieu nous confie pour les sanctifier et les guider vers lui. Voilà la noble tâche du père de famille qui, dans cette dimension, s’apparente à un sacerdoce. Le père est le pasteur de son petit troupeau. Dans le regard de nos enfants, il faut  lire le regard de Dieu, sa volonté de peupler le ciel d’élus, et parmi ces élus, ces enfants-là en particulier. Oublions les mots, les belles idées qui restent trop souvent sur nos tables de nuit enfermées entre les pages de notre dernière lecture spirituelle : nos enfants sont l’incarnation du commandement divin, alors au travail ! Le temps file, les grâces passent, il faut se mettre à l’oeuvre.

Nous savons que sans la pénitence, le ciel est inacessible. Mortifions-nous notre corps et notre esprit ? Savons-nous expier nos fautes par de vraies privations, de vrais sacrifices ? Prenons-nous des résolutions qui vont s’attaquer à nos vrais défauts, ceux qui font mal ? Apprenons-nous à nos enfants à se grandir par la pénitence ?

Nous savons que le bruit étouffe la voix de Dieu. Avons-nous dans notre vie des moments de silence ? Savons-nous éteindre notre téléphone ? Savons-nous ouvrir un livre plutôt qu’allumer la télévision ? Aurons-nous même le courage de l’éteindre pour toujours ? Apprenons-nous à nos enfants à contempler ? D’abord la nature, la création, puis les oeuvres d’art, pour ensuite mieux les émerveiller de la beauté de Dieu à travers la méditation ?

Nous savons que Dieu aime les petits, les pauvres et les miséreux. Allons-nous frapper à la porte de nos voisins ? Donnons-nous l’aumône ? Parlons-nous de Dieu autour de nous à tous ceux que Dieu met sur notre route ? Apprenons-nous à nos enfants à faire charité, à prier pour les pauvres pécheurs ?

Nous savons que l’autorité est la forme la plus pure de la charité du père de famille envers les siens. Savons-nous reprendre nos enfants quand il le faut ? Savons-nous dire les choses qui doivent être dites, punir ce qui doit être puni dans faiblir ? Ou fermons-nous les yeux sur des choses par manque de force ?

Nous savons que Jésus rougira devant son père de ceux qui ont rougi de lui devant les hommes. Rougissons-nous de Jésus ? Ou savons-nous garder un discours cohérent avec notre conscience et nos principes en toutes circonstances ? Ou faisons-nous partie de ceux qui se disent « ouverts », « gentils », « sensibles » ? Combien d’hommes font des compromis car lassés de passer pour méchant, intégriste, fermé ?

Si nous nous examinons, nous voyons que bien souvent, nous en restons aux mots, aux belles idées, et que dès le premier obstacle, notre volonté s’effrite. Cela car dans le fond, nous manquons de courage. Oui, c’est la vertu qui a disparu de notre siècle. Le courage est mort. La mièvrerie l’a affaibli, le confort l’a amoindri, et le narcissisme, le respect humain, la folie individualiste de notre société décomposée l’a tué. Il n’y a presque plus d’hommes en France, car il n’y a plus de courage.

Il fallait du courage pour suivre Jehanne d’Arc, il fallait du courage pour sortir des tranchées en 1914, il fallait du courage pour suivre Monseigneur Lefebvre, il faut du courage pour suivre le Christ. Alors messieurs, soyons courageux !

Louis d’Henriques