« Un glaive de douleur te percera le cœur »

Depuis le péché de notre premier père, la souffrance est la loi des hommes. Elle atteint les pécheurs et elle atteint les justes. Mais ceux-ci, s’ils ont assez de foi, trouvent une consolation au milieu de leurs souffrances. Quel catholique ignore que celle que le Bon Dieu a chargé tout spécialement de porter soulagement à ceux qui souffrent, est Marie, celle que l’on invoque sous le vocable de « Consolatrice des affligés » ? Marie que Dieu s’était réservée pour devenir la mère de son propre Fils, et qu’Il n’a pourtant pas préservée de dures souffrances.  « Un glaive de douleur te percera le cœur » lui avait prédit le vieillard Siméon

 Les douleurs de Notre-Dame

Si Dieu préserva cependant la Vierge Marie des douleurs de l’enfantement de son Fils, Il n’épargna pas ses souffrances lors de la fuite en Égypte pour sauver la vie de son petit enfant-Dieu qu’Hérode voulait massacrer ; puis lors de la recherche éperdue de son Jésus égaré, et enfin retrouvé au temple au bout de trois longs jours d’inquiétude. Et encore, durant les trois années de sa vie publique, quand il savait combien, dans sa solitude, elle pensait sans cesse à lui, se réjouissait de ses succès, s’affligeait de ses douleurs ; il savait aussi comment les supplications et les immolations que sa mère offrait sans cesse au Père fécondaient mystérieusement son œuvre : les pécheurs se convertissaient plus facilement, les âmes généreuses se donnaient plus entièrement parce que là-bas, dans son étroite chambre de Nazareth, Marie priait Dieu pour le succès de son grand fils Jésus.

Vint le moment du sacrifice suprême. Jésus voulut que sa Mère fût près de lui. Le Christ expirant et la Mère des Douleurs au pied de sa croix… Union visible entre le Crucifié et sa Mère, qui n’était que l’image d’une autre union bien plus intime, d’une union qui associait Marie non seulement aux souffrances mais à la mission même de son Fils. Ce fils, Dieu l’avait envoyé dans le monde pour racheter l’humanité, et il devait la racheter de concert avec sa Mère : il serait Rédempteur, elle serait Corédemptrice.

Pourquoi cette union dans la douleur et le sacrifice ? Car Jésus voulut que sa Passion, infiniment efficace en elle-même, le fût davantage grâce au concours de sa Mère. Il avait décidé qu’elle serait aussi notre Mère. Pour cela, il fallait qu’elle nous enfantât à la vie surnaturelle.

Le salut gagné dans la douleur

Toute autre mère donne le jour à son enfant dans la douleur. Toute vie commence ainsi sous le sceau de la souffrance qui devient aussi promesse d’enfantement faite à nos douleurs.

« Étonnante décision de la Miséricorde, car enfin la mort eut pu n’être que mort, et la douleur que destruction de la vie au profit de la mort dont elle est l’avant-garde. Il fallait un Créateur  >>>  >>> passionné de création, un Père passionné de miséricorde pour que, de la douleur et de la mort, nées du péché, rejaillisse la vie1. »

Ainsi avons-nous l’assurance que douleur et vie sont liées l’une à l’autre de telle manière que de l’une jaillira l’autre. Le ton est donné : dans notre vie naturelle, comme dans notre vie spirituelle, nous aurons à souffrir, à lutter contre bien des obstacles, bien des fatigues, des agacements, des épreuves terrestres plus ou moins lourdes, pour finalement « nous enfanter » au bonheur éternel promis par Dieu, s’Il nous en juge dignes.

Ainsi la mère, à l’heure redoutée de l’enfantement, se sent-elle à la fois triste d’avoir à souffrir, mais si heureuse de donner un nouvel enfant au Dieu vivant. Souffrance et joie amplement partagées moralement par son époux tout désemparé.

La première fois que nous arrive ce merveilleux événement, nous croyons naïvement en une chose accomplie : un être neuf est né de nous, c’est fait. Il nous semble maintenant destiné à vivre pour son compte, le plus pénible de notre tâche nous paraît achevé, quoi que nous n’ignorions pas qu’il faudra veiller.

Quelle erreur ! C’est ensemble, maintenant, et pendant de longues années que le père et la mère continueront d’enfanter dans la douleur. La vie de l’enfant exigera miette à miette leur propre vie où l’inquiétude est entrée avec l’amour de cet enfant fragile. À ses parents de le conduire à travers les écueils qui guettent la vie de son corps, et bientôt celle de son âme. Ils ne le feront pas sans risques, sans souffrances, ni sans déchirements. Plus tard pourront venir des heures difficiles où leur enfant sera en peine ou en danger au point de beaucoup les affecter. À eux de consentir un nouvel enfantement spirituel dans la souffrance et la prière.

Ne nous disons jamais « je ne peux rien pour lui » puisque nous pouvons au moins souffrir, et offrir cette souffrance pour sa délivrance. Et si nos douleurs n’écartent pas tel mal de ceux pour qui nous les offrons, n’allons pas les croire stériles ! Il existe d’invisibles libérations qui ne sont pas moins belles, et gardons confiance en notre divin Père de qui nous vient la promesse : « Tu enfanteras dans la douleur. »

Aux heures de doutes, ou de lassitude, tournons-nous vers Marie. Déposons au creux de son Cœur Douloureux non seulement nos maux et nos tourments, mais aussi nos joies et nos espoirs. Livrons à la meilleure des Mères ce qui nous pèse, autant que nos secrets les plus doux. Qu’y a-t-il de meilleur que le cœur aimant et consolant de notre bonne Mère du Ciel ; que craignons-nous, alors qu’elle nous a annoncé « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera » ?

Doux cœur de Marie, soyez notre salut !

Sophie de Lédinghen

 

1 Rozenn de Montjamont

 

 

L’instant présent

L’instant présent est d’abord celui de la présence de Dieu : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » Dieu est l’éternel présent. Nous devons être convaincus que chaque instant, quel qu’en soit le contenu, est plein de la présence de Dieu, riche d’une possibilité de communion spirituelle avec lui. On ne communie à Dieu ni dans le passé, ni dans le futur, mais en vivant chaque instant en sa présence.

Au lieu d’être constamment projeté dans le passé ou dans l’avenir, il faudrait apprendre à vivre chaque moment comme se suffisant à lui-même car Dieu est là, et si Dieu est là je ne manque de rien.

Notre sentiment de vide, de frustration, d’inquiétude, l’impression de manquer de telle ou telle chose vient souvent du fait que nous vivons dans le passé (regrets, déceptions…), ou dans l’avenir (peurs, vaines attentes…) au lieu de vivre chaque instant en l’accueillant tel qu’il est, riche de la présence de Dieu qui nous nourrit et nous fortifie. Vivre ainsi l’instant présent dilate le cœur ! « Apprenons à lancer notre cœur à Dieu », recommande saint Bernard. Le Seigneur se sent alors comme chez Lui dans l’âme qui s’abandonne tout à Lui.

 

Aujourd’hui

Sans me soucier du passé ni de l’avenir, aujourd’hui je décide de croire, aujourd’hui je veux mettre toute ma confiance en Dieu, aujourd’hui je choisis d’aimer Dieu et mon prochain, et le jour suivant, nouvel « aujourd’hui » qui m’est accordé par la grâce divine, je recommence. Et ainsi de suite inlassablement, sans chercher à mesurer mes progrès, sans me décourager de mes faiblesses, sans me targuer de mes réussites, ne comptant pas sur mes propres forces, mais m’appuyant sur la Providence dans une présence de Dieu constante.

Sainte Thérèse de Lisieux disait : « Pour t’aimer ô Jésus, je n’ai rien qu’aujourd’hui… C’est parce qu’on pense au passé et à l’avenir qu’on se décourage et qu’on se désespère. »

Ce qui nous écrase, c’est bien souvent la projection dans l’avenir. Ce n’est pas la souffrance, mais l’idée que nous en avons. « Le grand obstacle, c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité, on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules, et c’est en la portant que l’on accroît son endurance. Mais la représentation de la souffrance, – qui n’est pas la souffrance car celle-ci est féconde et peut nous rendre la vie précieuse – il faut la briser. Et en brisant ces représentations qui emprisonnent la vie derrière leurs grilles, on libère en soi la vie réelle avec toutes ses faces, et l’on devient capable de supporter la souffrance réelle dans sa propre vie. »

 

Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez -vous ?

La foi de Marie-Madeleine a été mise à rude épreuve. Tantôt paisible et priante, tantôt pleurante et souffrante… La foi de la grande convertie a été modelée, purifiée par la sage pédagogie de Dieu. On aurait pu penser que cela suffisait, mais il n’en est rien ! La bonne et fidèle Madeleine va subir une nouvelle purification. Comment Jésus va-t-il s’y prendre ? En laissant quelque temps la pauvre femme troublée par ses propres pensées, ses manières, ses projets… >>>  >>> Or ce côté trop humain doit être anéanti pour que l’âme puisse se plonger sans retour dans la joie de la Résurrection.

Il est tôt le matin, Marie-Madeleine se rend au sépulcre qu’elle trouve vide, la pierre roulée. Une peur panique, irrépressible, l’angoisse du tombeau vide la gagne subitement. Saisie de vertige, elle court auprès de Pierre et Jean : « Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, et nous ne savons où ils l’ont mis ! » Elle retourne ensuite au sépulcre et se retrouve seule, elle s’agite, tout en pleurs parcourant le monde par son imagination affolée…

On se souvient que Marie-Madeleine avait tout donné à Jésus, à commencer par elle-même. Elle avait vu en lui sa miséricorde éternelle et s’était livrée à Lui. Jésus était sa vie, sa joie, son espérance, son tout. Et Le voilà perdu, disparu. Que Lui a-t-on fait ? Où est-Il ?

La foi de Madeleine traverse un nouveau purgatoire, une épreuve terrible mais nécessaire pour jouir bientôt de « l’union transformante ». C’est en passant par le feu que le sable devient verre. La pécheresse convertie doit apprendre que Dieu n’est jamais plus présent que lorsqu’on le croit absent. Bossuet a très bien exprimé ce mystère :

« Vous plaindrez-vous qu’il vous a trompée ? Non, non il ne vous trompe pas ; ou s’il nous trompe, c’est d’une autre sorte. C’est qu’il nous unit à lui plus intimement dans le temps même que tous nos sens n’éprouvent qu’éloignement et séparation. C’est ainsi que l’amour doit être traité pendant ce pèlerinage.

Il faut qu’il se nourrisse de la foi, qu’il ne vive que d’espérance ; qu’il croisse parmi les détachements et les privations les plus tuantes ; car il faut non seulement qu’il meure martyr de Jésus-Christ, que ses propres ardeurs soient son martyre, et que son bien-aimé même soit son tyran. […] Telle est la conduite, tels sont les détours, telle est la tyrannie de l’amour divin durant ces temps misérables de captivité et d’exil1. »

« Le chrétien de tous les temps n’est pas exempt de telles épreuves. Il connaît aussi l’angoisse du tombeau vide quand il assiste impuissant à la perte de la foi chez un fils ou un frère, au désastre d’un foyer qui se déchire, aux sacrilèges liturgiques, aux profanations du sacerdoce. Autant de tombeaux, autant de sanctuaires souillés par la main des impies, autant de désastres qui laissent l’homme de Dieu désarmé, autant de vides qui arrachent les larmes de compassion, autant de tabernacles qu’il faut rendre au Seigneur. Quel tourment pour le cœur qui aime Dieu ! Mais l’Esprit Saint passe et prépare l’âme à la vision2. »

« A chaque jour suffit sa peine », essayons de suivre cet enseignement du Christ, et de ne pas ajouter à la peine du jour, qui est déjà bien suffisante, celle d’hier et celle de demain ! Pour cela exerçons-nous à ne porter que la difficulté d’aujourd’hui, en remettant le passé à la Miséricorde divine, et l’avenir à la Providence.

 

Sophie de Lédinghen

 

 

1 Bossuet, Discours inédit

Sainte Marie-Madeleine, la foi victorieuse. Ed. du Saint Nom

 

L’amour maternel

La famille est l’image de la sainte Trinité ; la mère y représente l’amour, le père l’autorité ; et tous les deux participent à cette sagesse qui les éclaire sans cesse. Voilà pourquoi ils sont inséparables, et doivent présider ensemble à l’éducation de leurs enfants. Chacun des deux parents y a un rôle à jouer avec le caractère et la fonction particulière de l’un et de l’autre. Mais tous les efforts tentés pour le remplir doivent être harmonisés, conjugués, et tendre au même but : la formation de l’homme futur et de l’enfant de Dieu. C’est cependant à la mère que revient la majeure partie de la tâche, surtout dans la petite enfance, car elle vit davantage avec ses enfants, elle est plus clairvoyante, et aime avec plus de dévouement.

On peut dire de la mère qu’elle a l’instinct de l’éducation ; elle le doit à la mission même que Dieu lui a confiée. Comme la fille de Pharaon l’a dit autrefois à la mère de Moïse, Dieu dit à l’épouse : « Recevez cet enfant, élevez-le pour moi. » Et comme Dieu n’emploie pas ses créatures et n’agit pas par elles sans leur communiquer quelque chose de ses attributs divins, Il a su donner aux parents, et à la mère plus spécialement, une participation de sa sagesse, de son intelligence et de sa clairvoyance pour deux raisons principales :

  • Parce que « aimer l’enfant et se faire aimer de lui, sera toujours le grand secret de l’éducation » (F. Kieffer).
  • Parce que l’éducation, qui ne va pas sans de nombreux et pénibles sacrifices, suppose, chez l’éducateur, un amour profond, dévoué et désintéressé. Or, personne n’est capable, au même degré que la mère, des tendresses et des héroïsmes de cet amour. Personne, par conséquent, ne peut lui contester la place qu’elle occupe dans la hiérarchie des éducateurs.

En venant à la lumière du jour, sauf rares exceptions, l’enfant trouve en sa mère une tendresse dans la plénitude de son intensité. Le père est heureux de son nouveau titre, content d’avoir un héritier, mais le bébé, en lui-même, n’éveille pas les enthousiasmes généreux que ressent une femme dans sa maternité expansive et triomphante. 

L’amour de la mère est fait de dévouement et d’abnégation. La mère aime l’enfant à proportion des sacrifices qu’elle s’impose pour lui. Plus il est faible, chétif, plus la part qu’elle lui réserve est grande. Le père, lui, aime davantage l’enfant dans la mesure des satisfactions que celui-ci lui procure.

L’ordre, dans l’amour maternel, consiste à aimer chacun à sa place et à son rang, lui donnant toute la mesure d’affection qui lui est due, sans transporter à l’un le sentiment qui appartient à un autre. Quand l’Évangile nous commande d’aimer tout le monde, même nos ennemis, cela ne veut pas dire qu’on doive aimer tout le monde de la même manière. Notre cœur doit aimer avec discernement, avec intelligence. La mère chrétienne aime Dieu, et doit l’aimer par-dessus tout. Elle aime son mari, ses enfants, ses parents, ses amis, ses proches… Mais ces divers amours sont distincts, chacun a son caractère, sa nuance, son degré d’intensité et de profondeur. La mère aime son mari d’une autre manière qu’elle aime ses enfants. Elle aime ses enfants autrement que ses parents ; et ses amis autrement que ses père et mère. Elle doit se garder d’intervertir l’ordre délicat de cette hiérarchie. De cette concordance, naissent les joies, l’harmonie et la paix.

Certaines mères vouent hélas parfois une affection désordonnée à leurs enfants, (ou même à certains de leurs enfants) et ne savent plus aimer Dieu. À peine leur reste-t-il, parfois, quelque amour pour leur mari ! Au lieu d’aimer leurs enfants selon Dieu et pour Dieu, elles les aiment pour elles-mêmes, elles les regardent comme des propriétés qui leur sont acquises à jamais, elles en font des objets de jouissance et d’adoration. Elles sont comme ivres d’une tendresse naturelle qui les étourdit et les aveugle, mais qui provoque trop fréquemment des regrets et des larmes.

On voit aussi des mères qui ne se contentent pas d’idolâtrer leurs enfants ; elles veulent elles-mêmes être leurs idoles ! Alors une cruelle jalousie se joint à leurs exigences, elles se posent comme le but même de la vie de leurs enfants. Elles s’inquiètent et s’agitent, veulent tout ordonner, tout prévoir, comme si elles étaient seules chargées de fixer l’avenir ; et dans leur activité débordante, oubliant le rôle de la Providence, elles excluent la part de Dieu dans les destinées.

Qu’en résulte-t-il ? Dieu laisse faire. Les enfants eux-mêmes, étouffés sous les étreintes d’une affection égoïste, s’impatientent contre ces excès d’attachement ; et ils secouent le joug, au risque de déchirer le cœur de leur mère.

Notre-Seigneur nous offre, dans l’Évangile, de remarquables exemples de ces divers degrés d’amour. Il aime toute la multitude de ses disciples ; mais il aime de préférence les douze apôtres. Parmi ces douze, trois sont manifestement l’objet d’une distinction spéciale (saint Pierre, saint Jacques et saint Jean) : seuls ils assistent à la divine agonie ; seuls ils sont témoins de la scène du Thabor. Et enfin, parmi ces trois préférés, il en est un qui est l’objet d’une prédilection plus singulière ; c’est celui que l’Évangile désigne toujours sous le nom de bien-aimé (saint Jean).

Telle est la gradation des affections saintes. C’est ainsi que les sentiments s’harmonisent dans un ordre sacré, sans se confondre et sans s’exclure les uns les autres. Le cœur chrétiennement organisé aime tout le monde, et par-dessus tout, Celui qui est le foyer de l’éternel amour.

 

        Sophie de Lédinghen 

 

La dame du bon conseil

S’il ne s’agissait à la maison que de se partager la besogne, et d’y agir chacun de son côté, selon les nécessités de la vie familiale (la femme se réservant l’entretien de la maison et l’éducation des enfants, et le mari ne se consacrant qu’aux affaires administratives et financières), le problème serait très simplifié. Tellement simplifié que nous voyons la nature, sans l’aide de la vertu, tendre spontanément à cette solution qui va de soi. Ce serait une collaboration, mais ni intime ni sacrée. Ce genre de vie, divergente, à deux, ne suffit pas. Il n’est pas bon que l’homme soit seul à côté de la femme.

Si, à l’opposé de ce système de la division dans la communauté de vie, on recommandait à la femme de participer aux affaires de l’homme et, réciproquement à l’homme de coopérer aux tâches de sa femme, on aboutirait plutôt à la confusion qu’à l’union… Quoi que l’on puisse en dire aujourd’hui !

Pour que la collaboration soit pratique, il est nécessaire qu’elle soit spirituelle. Car la participation de l’esprit, autrement dit de la vie de l’âme, à toutes les tâches de l’homme, est une chose possible et facile. La fonction spirituelle est double : donner de la lumière, donner de la chaleur. D’abord action sur l’intelligence pour l’éclairer ; puis action sur la volonté pour l’animer. Cette influence rappelle le rayonnement qu’eut la très Sainte Vierge dans la primitive Église. La Vierge, épouse modèle, épouse par excellence, éclairait et animait les Apôtres. Elle était l’âme de tout l’apostolat.

Quand on essaie de se représenter sous quelle forme précise la Sainte Vierge, pendant ses vingt ou vingt-cinq années que Jésus la laissa sur la terre, exerça ce ministère d’illuminatrice des âmes, on ne la voit ni agitée, ni affairée, ni prêchant, ni voyageant, ni occupée aux œuvres extérieures, mais on se la figure seulement comme une présence continuée du Christ. Lampe toujours éclairée au sein du premier cénacle. On la trouvait, en effet, toujours à Jérusalem, dans sa demeure, tranquille et fidèle au poste. Elle était surtout pour les Apôtres, pour Jean en particulier, Notre Dame du Bon Conseil. Elle inspirait à en toutes leurs ardeurs le véritable esprit de l’Évangile.

Or voici bien le titre que le mari doit spontanément donner à sa femme : Ma dame du bon conseil.  Dieu porte à l’homme un secours quotidien en sa femme, « un asile sacré que l’inviolabilité du mariage défend contre tous les assauts, avec plus de force que tous les remparts, c’est l’asile que l’épouse chrétienne peut donner dans l’intimité de son amour1. » Il suffit pour cela que l’épouse vive elle-même profondément de cet esprit et qu’elle le fasse respirer constamment par celui qui l’approche dans l’intimité de son foyer. 

« L’homme souffre du métier qui le surmène et qui le courbe vers la matière sans arrêt… Il souffre de ne pas être aussi rempli d’idéal qu’il le voudrait ; il souffre d’être en proie partout à la rivalité, farouche quoique polie, des âmes livrées à toutes les laideurs des péchés capitaux ; il souffre d’être déçu par des amitiés […], de ne pas trouver dans les livres la manne du Ciel dont il voudrait se nourrir… » En un mot, il a besoin de respirer, comme une poitrine oppressée, le bon air de la montagne, l’atmosphère du surnaturel.

Mais voici maintenant son désir le plus sincère : ce bon air d’en haut, il compte le trouver dans l’intimité de sa femme, parce qu’il ne peut le trouver vraiment que là.  « Elle est la dame du bon conseil, parole vivante et pénétrante, qui sait dire ce qu’il faut dire, cet ineffable nécessaire que l’esprit attend et réclame. Elle a le tact, l’opportunité, la délicatesse. »

Pour pénétrer son époux de cet esprit supérieur, il faut nécessairement qu’elle vive elle-même dans un monde supérieur, au-dessus du terre à terre, des mesquineries, de l’amour-propre, des timidités, des vues étroites, égoïstes qui, loin de favoriser le bonheur, condamnent au contraire toute la famille à la souffrance vaine. Comment vivra-t-elle à ce niveau si elle ne prend pas l’habitude de tout juger du point de vue de Dieu ?

C’est ainsi que Pierre Dupouey, officier de marine, voit sa femme comme la présence de Dieu en son foyer :                                   

30 novembre 1914

« En dehors du devoir et des choses divines, je n’ai besoin que de toi (ou plutôt, j’ai besoin de toi, parce que tu fais partie des choses divines de ma vie) parce que c’est le Bon Dieu qui t’y a fait entrer, parce que tu es, sous mon toit, sa bénédiction vivante et efficace… Depuis que je t’ai reçue de Dieu, j’ai compris ce qu’était la Providence… »

19 décembre 1914

« En revenant des tranchées, je trouve trois lettres bénies, je veux dire : pleines pour moi de bénédictions, de joie, de paix, de réconfort. Je te remercie de me continuer ainsi de loin l’intimité de ton cœur… et de me permettre, du fond de mes tanières, de partager les chères pensées que Dieu lui inspire. Cette union de pensées et de désirs, qui a été la bénédiction et la force de notre cher mariage, continue de loin à me soutenir, à me fortifier, à me montrer l’excellence de mon devoir. Dans la patiente fidélité de ton cœur, mieux que partout ailleurs, je goûte ce bel ordre français et catholique que Dieu me demande de défendre. »

 

Il n’est pas étonnant que, dans l’absence, le plus grand désir de cet époux soit de retourner auprès de celle qui le spiritualise par sa présence. Il sait que sa force est là, dans l’intimité du foyer.

Ainsi, toute épouse chrétienne, avec une inaltérable confiance en la Providence, devrait aujourd’hui plus que jamais panser et guérir les blessures morales de son mari, en illuminant son âme de pensées idéales de foi chrétienne, et en soutenant sa volonté d’un courage surnaturel.

 

Sophie de Lédinghen

 

Notre-Dame du Oui

La fête prochaine de l’Annonciation commémore l’humble et fervente réponse que Marie fit à Dieu : Fiat… Oui ! C’est la fête du consentement de la Vierge à l’inimaginable proposition de Dieu. C’est le oui de l’Épouse à l’Époux, le consentement joyeux et grave, par lequel le cœur se livre, cède toute la place à l’autre présence : Marie a dit oui à Dieu et le Verbe s’est fait chair en son sein. Toute la vie de la Vierge-Mère, engagée par le oui de l’Annonciation, fut une continuelle ascension d’amour, aussi est-ce bien auprès d’elle que les foyers chrétiens apprendront à prononcer une première fois, et puis toute leur vie, le oui qui est l’âme de leur amour.

C’est Marie, l’humble servante du consentement, qui apprend à leurs âmes comment on redit et comment on vit chaque jour le oui du premier jour. Le oui de Marie n’évoque-t-il pas irrésistiblement le foyer du « oui parfait » que fut la maison de Nazareth, que fut et qu’est toujours le cœur de Marie ? C’est en regardant de ce côté que les époux apprendront le secret du oui vraiment chrétien, fidèle et constant, du oui des heures d’anxiété et des heures d’allégresse, du oui qui consent à l’autre, à l’autre tel qu’il est, du oui répondu à ses demandes et parfois à ses exigences, du oui qui participe à ses joies et assume ses peines, à l’exemple même du Christ et de la Vierge de Compassion, du oui de toute abnégation, sans nulle avarice ni réticence. « Je veux apprendre avec Dieu à être cette chose toute bonne et toute donnée qui ne réserve rien et à qui l’on prend tout.» (Claudel)

Non seulement la Vierge enseignera aux époux à vivre ce mystère du oui, d’un oui toujours plénier, mais elle leur révèlera d’abord que nul ne peut dire oui, vraiment, à un autre s’il n’a pas d’abord dit oui à Dieu. C’est l’amour même de Dieu qui passe par son cœur pour rejoindre un autre cœur. Qu’il consente plus pleinement, qu’il s’ouvre plus largement et l’amour divin sera en lui une source jaillissante, intarissable. L’amour vient de Dieu, va à Dieu et ne peut vivre parfaitement qu’en Dieu. Celui qui répudie l’amour divin ignorera toujours la plénitude de l’amour humain, quoi qu’il en pense. « Les amants ne sont jamais seuls, écrit Gustave Thibon, si Dieu n’est pas en eux pour les unir, il est entre eux pour les séparer. » Et quand, aux heures sombres, ils ne voient plus la route, quand la présence divine les intimide, il leur reste de recourir à la toute proche et tendre présence de la Vierge Marie.

Le foyer aussi, comme chacun des époux, doit dire oui à Dieu. Le cœur du foyer, ce cœur nouveau, unique, issu de ces deux cœurs qui se sont donnés l’un à l’autre, doit consentir à Dieu et se donner à Lui. Alors le oui que l’amour dit à Dieu et qu’il renouvellera bien des fois, appelle ce oui de Dieu qui deviendra source de vie au foyer, fleuve de vie plus tard, et suscitera au cours des siècles un peuple d’enfants de Dieu. Parce que le foyer a dit oui, la vie est en lui et va féconder la terre, mystère tout proche de celui de l’Annonciation. La Vierge a engendré le Chef, le foyer engendre les membres. Le foyer connaît avec émerveillement qu’en joignant son oui à celui de Marie, il collabore avec elle et contribue à donner le Christ au Père et aux hommes.

Il importe toutefois de noter que les parents ne transmettent que la vie naturelle et que leur oui dit au Dieu créateur, doit être doublé d’un oui dit au Rédempteur présent en son Église. Humblement, ils doivent venir solliciter pour leur enfant cette vie divine que la paternité humaine ne peut donner, mais que l’Église possède et qu’elle communique par les sacrements, et d’abord par le Baptême.

Présenter un enfant aux fonts baptismaux, c’est l’initier au consentement, c’est le mettre déjà en disposition de oui à l’égard de Dieu. A partir du baptême, toute l’éducation de l’enfant va consister à lui enseigner le mot de l’amour.

C’est en apprenant à l’enfant à dire oui à son père et à sa mère qu’on l’initiera à cette vie de consentement aux vouloirs divins. Apprendre à l’enfant à ne pas refuser et à ne pas se fermer, lui enseigner l’obéissance alerte et joyeuse, le don de soi sans marchandage, lui faire découvrir et vivre l’allégresse du consentement à ses parents, c’est déjà l’acheminer par étapes à ces consentements que Dieu lui demandera. L’enfant est engagé dans la voie du consentement à Dieu par la docilité à ses parents. Parfois ceux-ci éprouvent une angoisse à la pensée qu’en apprenant à l’enfant à dire oui à Dieu, ils s’obligent eux-mêmes à l’avance à dire oui à ces appels de Dieu qui le leur prendra. Mais leur inquiétude s’apaise en contemplant la Vierge de l’Annonciation. Elle aussi pressentait bien qu’un jour Dieu appellerait son Fils loin de la maison de Nazareth, pour l’envoyer sur les routes de Palestine et le livrer aux foules, qu’un jour Dieu le convoquerait au Calvaire et sur le Mont de l’Ascension, et que le oui du Fils exigerait le plein consentement du cœur de la Mère.

Auprès d’elle et comme elle, les parents vraiment chrétiens comprennent que leur enfant n’est pas pour eux. Il y a fête en leur cœur, si déchiré soit-il, le jour où l’enfant, préparé par une éducation chrétienne, répond par un oui généreux à la vocation que Dieu lui signifie.

Invoquons Notre-Dame du Oui. C’est elle, cette mère consentante, s’ils la veulent intimement présente en leur demeure, qui leur enseignera le consentement et qui veillera sur leur amour.

 

Notre Dame, qui par votre oui
Avez changé la face du monde,
Prenez en pitié ceux qui veulent

Dire oui pour toujours. 
Vous qui savez à quel prix

Ce mot s’achète et se tient, 
Obtenez-nous de ne pas reculer 
Devant ce qu’il exige de nous. 
Apprenez-nous à le dire comme vous, 
Dans l’humilité, la pureté, la simplicité 

Et l’abandon à la volonté du Père. 
Demandez à votre Fils Jésus,

Que les « oui » que nous dirons après celui-là, 
Tout au long de notre vie 

Nous servent, à l’exemple du vôtre,
À faire encore plus parfaitement

La volonté de Dieu 
Pour notre salut et celui du monde entier. 
Ainsi-soit-il.

 

 

 

Comme le Christ a aimé l’Eglise

Le mariage est le sacrement qui tend à rendre un amour humain parfait comme celui du Christ et de l’Église. À travers cette image, nous observons que dans l’amour des époux, Dieu a non seulement donné deux rôles différents et complémentaires à l’homme et à la femme ; mais Il offre aussi un rôle commun aux deux époux dans leur collaboration à l’édification du temple de l’Église composé de nouvelles âmes baptisées, reçues de Dieu par leur naissance au foyer, pour les lui consacrer.

Quand l’amour de l’époux doit avoir la caractéristique d’être chef (comme le Christ est chef de l’Église), d’aimer et sanctifier (comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant), et de nourrir l’âme de sa femme (« Nul n’a jamais haï sa propre chair ; il la nourrit au contraire et il en prend soin. » Saint Paul) ; l’idéal de l’amour de l’épouse prend modèle sur l’Église à travers l’exemple de NotreDame, son modèle le plus parfait. Or la Vierge Marie a été à la fois Mère de Jésus, sa collaboratrice et sa créature (c’est-à-dire celle qui a tout reçu, tout appris de Lui.)

L’exemple du Christ rappelle au mari qu’être le chef, c’est se dévouer pour le salut de son épouse (et celui de sa famille), par exemple en la soutenant dans l’effort qu’elle fait pour devenir meilleure, en l’encourageant et l’épaulant dans son rôle d’épouse et de mère. L’amour des époux catholiques est un don total, qui n’est pas une alliance purement humaine, mais « un contrat où Dieu a sa place, la seule qui lui convienne, c’est-à-dire la première* ». Dans une volonté de sanctification mutuelle et de collaboration avec Dieu lui-même à la continuation de son œuvre « créatrice, conservatrice et rédemptrice ». Ainsi le Christ voulut-il que l’Église, sa mystique épouse, « fût sans tache, sans ride, mais sainte et immaculée » (Saint Paul, Eph.). Est sans tache devant Dieu « quiconque accomplit, avec fidélité et sans faiblesse, les obligations de son état* ». Dieu n’appelle pas tous ses enfants à l’état de perfection, mais Il invite chacun d’eux à la perfection de son état.

 Telle est l’union des époux chrétiens, et celle du Christ et de son Église, selon la célèbre expression de saint Paul. « Dans l’une comme  >>> >>> dans l’autre, le don de soi est total, exclusif, irrévocable ; dans l’une et dans l’autre, l’époux est le chef de l’épouse, qui lui est soumise comme au Seigneur ; dans l’une et dans l’autre, le don mutuel devient principe d’expansion et source de vie*. »

En s’incarnant, le Fils de Dieu, sauveur du genre humain, éleva le lien conjugal de l’homme et de la femme à la dignité de sacrement. La mission des époux chrétiens dans l’Église n’est pas seulement d’engendrer des enfants pour les offrir, pierres vivantes, au travail des prêtres, ministres plus élevés de Dieu. Les grâces, si abondantes, que le mariage a communiquées aux époux par le sacrement de mariage, leur ont été données également pour se sanctifier, s’éclairer et se fortifier mutuellement dans leur ministère corporel et spirituel, pour mener toute leur famille au bonheur du ciel voulu par Dieu.

Notre mariage est un travail quotidien d’abnégation, de dépouillement de nous-mêmes pour l’amour de l’autre, pour son bien supérieur. Le considérons-nous avec les yeux de Dieu, ou ceux du monde ? Ce qu’une épouse fait à son mari, elle le fait au Christ lui-même. L’amour de l’époux pour sa femme doit être celui du Christ pour son Église. Comme dit si bien l’abbé Ludger Grün (Le vin de Cana) « l’amour dans le mariage devient le thermomètre de l’amour pour Dieu ».

N’oublions pas que les grâces de notre mariage nous aident à nous rapprocher du Christ-Église. La branche doit s’accorder à l’arbre. Plus nous sommes fidèles aux grâces, plus la vie du Christ et de l’Église apparaît dans la vie des époux. Le Christ attend de sa vigne les fruits correspondants. Alors ne laissons pas perdre, ne gaspillons pas les fruits de la grâce de notre mariage.

Sophie de Lédinghen

 

* Pie XII, Allocution aux jeunes époux (8 nov. 1939)

 

 

La vie familiale

Nous vous livrons ici quelques pensées tirées du livre du Père A.D. Sertillanges (1863-1948), La vie familiale.

Notre idée générale de la vie catholique : union à Jésus-Christ en tout, de telle sorte que par l’infusion de son Esprit dans tous les cas humains qu’il adopte, Jésus-Christ se poursuive en nous tout au long du temps.

Voyez comme Jésus-Christ dépend du foyer où naissent et s’alimentent toutes les existences. Le foyer, point de départ de tout, siège d’une humanité en raccourci : la famille.

Pour que Jésus vive dans l’humanité et pour que l’Église, sa continuation authentique, subsiste, il faut que le foyer l’abrite et l’adopte ; il faut que la vie, qui meurt, soit sans cesse renouvelée, que l’avenir sorte du passé, que l’amour procrée et que l’éducation achève d’enfanter ceux que le baptême et les autres sacrements auront pour rôle de régénérer, c’est-à-dire d’engendrer à la vie de la grâce.

Jésus attend, pour naître en nous tous, que la famille chrétienne lui donne vie ; qu’elle fasse éclore sa nouvelle flamme et ne la tienne pas sous le boisseau ; qu’elle lui procure la chaleur vitale d’où procèdent les jaillissements, d’où partent les élargissements qui répandront la vie sur la terre.

Miracle du foyer ! L’humanité sans cesse fléchissante assure à Dieu qui ne meurt pas une perpétuité temporelle pour son œuvre. 

De génération en génération, de baptême en baptême, de mariage en mariage, d’esprit en esprit et de cœur en cœur comme de chair en chair, de maison en maison, de domaine en domaine, de fortune en fortune, de situation en situation, de famille élargie en famille plus complète et plus ample : cité, peuple ou famille de peuples, la chrétienté avance. La route des âges voit se dérouler le cortège ainsi qu’une procession. Jésus est en tête avec sa croix ; Jésus est en arrière en son Sacrement ; Jésus aussi est tout du long, comme une eucharistie humble et grande, comme un Dieu spirituellement incarné en tous ses enfants ; car ce n’est pas seulement sur le pain, c’est aussi sur les hommes que la consécration se prononce, et c’est bien une réalité, l’appel de tous à devenir dans l’Église comme un « corps de Dieu ».

Les vagissements des berceaux préluderont au murmure des prières, aux paroles de vérité et de vie, et toute l’activité chrétienne portera promesse d’immortalité pour ce que notre vie s’incorpore et entraîne.

Toute famille est une sainte famille ; tout père rappelle Joseph ; toute pieuse mère

Marie, et tout enfant Jésus.

Après tant d’autres sur la terre et avant tant d’autres, qu’il est donc grand de marcher en famille vers le ciel !

Pour les parents, toute la vie familiale est un dévouement ; ceux qui y chercheraient uniquement leur propre bonheur n’en seraient pas capables ; en tout cas le bonheur qu’ils goûteraient ne serait pas celui d’aimer ainsi que père et mère. L’amour des père et mère est un amour de don ; il coule, il ne remonte pas ; il n’exige pas de retour.

Voici le père qui peine : car il faut peiner pour faire face à une situation qui engage plusieurs êtres et qui est ambitieuse du fait que la famille ouvre sur l’avenir. La vie du père, sa vie catholique, c’est d’être père en tous les sens du mot ; c’est d’être pourvoyeur, défenseur, gardien, modérateur ou excitateur, justicier au besoin, correcteur en tout cas, nourricier pour le corps et l’âme. C’est ensuite d’être époux chrétien, c’est-à-dire d’enfermer l’amour dans un ordre qui en assure l’emploi paisible et utile, loin des passions malsaines, dans une exacte discipline du cœur et des sens, domptant, en même temps qu’il la satisfait, la nature physique.

De son côté, la mère trouvera dans Nazareth la femme qui lui offre et lui intime doucement l’idéal des mères. Unie à son époux et formant avec lui en faveur de l’enfant un unique principe ; sachant aider, patienter, régenter et organiser, acceptant au besoin de souffrir ; vivant pour ses enfants en vivant avec ses enfants, pour son mari en vivant la vie de son mari qu’elle double au-dedans et qu’elle secourt ou conseille plus d’une fois au dehors. Elle est reine de l’intimité. C’est à elle de veiller à ce qu’une même attirance fixe au foyer celui que sollicite le dehors, y ramène l’inconstant, y attache la parenté, y invite ceux que l’amitié peut élire au profit commun.

Les frères, les sœurs, enfants principalement doivent demeurer aussi sous la loi qui veut que tout soit donné, au foyer, à l’heureuse poussée des êtres. Ils obéissent pour être formés ; ils travaillent ou s’efforce(nt) en de petits services, ce que doit être chrétiennement une association de frères. On joue ensemble avec entrain, car le jeu est la vie de l’enfance ; mais peu à peu le jeu cède et le sérieux s’installe. On se connaît à fond ; on se rejoint sans peine ; on se complète l’un par l’autre, additionnant les ressources et soustrayant les défauts que le frottement réduit ; on partage les mêmes soins ; on se réjouit des mêmes affections ; on n’est jaloux qu’en faveur de l’un ou de l’autre ; on évite les disputes ; on se porte secours ; on se sert de lien entre enfants et avec les parents ; on s’aide à mieux juger et à se mieux disposer ; on sourit au présent qui est paisible encore et, en face d’une croix minuscule, on apprend à souffrir.

La famille est un départ de vie, et la famille chrétienne divinise cette vie par sa jonction avec celle du Christ qui l’adopte et l’inspire. Elle se fait des trésors dans le ciel. Et elle s’en fait également sur la terre. En acceptant l’harmonie des devoirs on assure la vie tout entière. On ne peut en bannir la souffrance, qui est le lot inévitable et d’ailleurs utile.

Avant l’éternité, rien ne donne une sécurité plus grande, parmi les arrangements humains, qu’une famille étroitement unie, adonnée à tous ses devoirs, et chrétienne.

Dans ce modèle réduit de l’existence, il y a tout ce qu’il faut pour donner le chef-d’œuvre ; car Dieu est un sculpteur qui essaie dans la glaise et qui ébauche sur la sellette étroite du foyer les marbres destinés aux avenues de la terre et aux pavillons du ciel.

 

Père A. D. Sertillanges (1863-1948)

Extraits de La vie familiale

 

L’homme et la femme, une énigme l’un pour l’autre

 

Que deux êtres aussi différents que l’homme et la femme arrivent à s’ajuster en une entité vivante, le couple : voilà bien un des miracles du mariage. Ce n’est qu’à la longue qu’on se rend compte de la profondeur de leur différence. Homme et femme n’ont pas seulement des idées différentes, mais ils pensent et ressentent tous les éléments de leur vie selon un mode différent.

Cette opposition psychologique est fondée en partie sur leurs fonctions biologiques. La femme qui conçoit et forme en elle un enfant, qui l’allaite, l’éduque et le construit pas à pas pendant des années, est douée d’une compréhension naturelle pour ce qui est vivant, animé, personnel.

L’homme, en revanche, confie son germe à la femme et ne s’occupe plus de son développement. En revanche, il est appelé à construire une habitation pour sa famille, à lui procurer la nourriture, à la défendre. Son orientation est donc avant tout technique, son objet étant les choses inanimées qu’on peut partager et ajuster à volonté. Son œuvre, il peut la faire et défaire une douzaine de fois afin de la perfectionner toujours plus. L’homme « classique » sera l’artisan, l’inventeur, l’explorateur, le chevalier sans peur et sans reproche. Son désir de perfection le rendra souvent révolutionnaire, tandis que la femme a un trait conservateur. Elle conserve la vie !

En raison de leurs fonctions propres, l’homme et la femme ne verront donc pas la vie sous le même aspect. La femme a une tendance à regarder les objets inanimés comme des êtres vivants tandis que l’homme, lui, cherche à démonter le « mécanisme intérieur » des êtres vivants. […] L’homme a une logique uniforme pour toute chose […]. Pour lui, deux fois deux font quatre, en tout temps et sous toutes les latitudes. La femme, elle, voit dans chaque personne un être unique, qui doit être compris comme tel et qu’on ne peut assimiler à aucun autre. Elle a l’esprit de finesse et trouve que la logique reste toujours à la surface. Aussi pour elle, deux fois deux ne font jamais exactement quatre. Ce n’est pas un manque de logique comme le croient volontiers les hommes, mais une mathématique appliquée à la vie, qui est l’élément de la femme. Tous les biologistes savent en effet que dans le règne du vivant, deux fois deux ne font jamais exactement quatre.

Or ces deux modes de pensée de l’homme et de la femme s’appliquent aussi à la manière dont ils éprouvent leur propre vie. La femme est une unité indissoluble de corps, d’âme et d’esprit. Un souci, une émotion, se traduiront très vite chez elle par un trouble physique, tandis qu’une fatigue ou indisposition physique aura tout de suite une répercussion psychologique. L’homme fait des cloisons étanches entre le corps, l’âme et l’esprit c’est pourquoi il ne se connaît jamais aussi bien que la femme, il se frappe davantage quand son corps est malade, il ne comprend pas ses rêves et a peur du mystère de la Vie. La femme, qui est douée de cette compréhension naturelle de la vie et des personnes, est plus sûre d’elle que l’homme. Inversement l’homme ressent, plus ou moins consciemment, un certain sentiment d’infériorité à son égard. C’est pourquoi l’épouse avisée tâchera toujours d’atténuer ce sentiment d’infériorité chez son mari, en lui faisant confiance, en l’admirant, en l’inspirant de son intuition et de son sentiment vital. Inspirer veut dire insuffler à quelqu’un ce qu’il n’a pas.

Voilà quelques traits de caractère des deux êtres qui s’affrontent dans le mariage. Cela signifie qu’ils vont avoir quelque peine à s’entendre, qu’ils vont se reprocher leur « manque de compréhension » ou leur « manque de logique ». Peut-être même qu’ils n’arriveront jamais à se comprendre « parfaitement ». Mais est-ce nécessaire, au fond ? […] Point n’est besoin de se comprendre jusqu’au fond pour s’aimer, pour se compléter, pour former un couple. Aussi bien ces quelques explications n’ont pas pour but d’augmenter nos connaissances psychologiques afin de permettre une pleine compréhension entre mari et femme : à cela des volumes ne suffiraient pas. Elles voudraient simplement montrer au mari que si sa femme pense tout autrement que lui, ce n’est pas par « bêtise », mais parce qu’elle est d’essence différente. Et elles voudraient consoler la femme sur « l’incompréhension » de son mari en lui montrant que la fonction de celui-ci n’est pas de la comprendre parfaitement mais de l’aimer en chevalier.

Dans le couple, dans l’ « être conjugal », le mari est le « chef », c’est-à-dire la tête, la femme est le « cœur »1. Leurs fonctions respectives se distinguent et se complètent en parfaite analogie avec ces deux organes. Le mari regarde et écoute au loin, il parle au nom du couple, il dirige la marche commune ; la femme nourrit et réchauffe toute la famille, sa présence bienveillante est partout ; là où elle manque, on ressent un vide mortel. Mieux chaque époux acceptera sa propre fonction, plus il jouira de la fonction de son conjoint.

La différence entre homme et femme se traduit même dans notre attitude envers Dieu. En effet, Dieu n’a pas créé d’être asexué, mais il a créé l’homme et la femme et il leur parle à chacun différemment. En lisant la Bible, on est frappé de voir combien souvent Dieu « envoie » un homme. Il envoie Moïse, il envoie Gédéon, il envoie Nathan et tous les prophètes ; enfin il envoie Jésus, son Fils, et celui-ci envoie ses disciples « comme des brebis parmi les loups ». Or il n’est jamais dit que Dieu envoie une femme, bien qu’il y ait eu des prophétesses et même, si nous pensons à Déborah, des femmes qui s’entendaient mieux à la guerre que les hommes.

Cet être sans cesse porté au dehors de lui-même, qui cherche toujours à se dépasser, à créer du nouveau, qui poursuit une image intérieure et cherche à la réaliser coûte que coûte, cet être qui est toujours prêt à renier ce qu’il a fait pour inventer du meilleur, cet être fier et inquiet, destructeur et constructeur de villes – l’homme -, Dieu s’en sert pour ses plans. L’homme est comme une flèche dans la main de Dieu. Sa liberté consiste à accomplir Sa volonté. Car tant qu’une flèche repose à terre, elle n’est pas libre, ce n’est que quand elle est envoyée, quand elle vole en l’air qu’elle est vraiment libre. Ainsi en est-il de l’homme.

La femme, au contraire, assiste à la création de Dieu dans son propre sein, dans son enfant. « Elle conserve sa Parole et la repasse dans son cœur.» Sa grande œuvre est simplement de dire oui à Son appel. « Me voici : je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole ! … »

Toutes les énigmes ont des solutions. L’énigme de la femme pour son mari, celle du mari pour sa femme, trouvent leur solution à l’instant où nous nous rendons compte qu’elles ne sont qu’une petite facette d’un grand mystère. Et qu’en vivant le mystère de notre mariage, en le vivant dans tous ses détails quotidiens et charnels, nous participons au grand Mystère dont il est l’image et qui est tout notre salut.

 

Théodore BOVET

 

1 Cf « La tête et le cœur » FA n° 8

 

L’amour est exigeant

En se mariant, les époux catholiques cherchent dans la vie matrimoniale une nouvelle dimension qui perfectionne leur vie. Lorsqu’ils se donnent vraiment l’un à l’autre par le mariage, corps et âmes, ils s’enrichissent mutuellement des vertus de chacun. Au début, tout est simple ; c’est avec le temps que viennent peu à peu les petits désaccords, les douleurs, les épreuves de toute vie qui risquent de diviser si l’on n’y prend garde.

L’amour authentique exige une démarche de dépassement continuel, d’où sa grandeur. Si on lutte pour l’augmenter, s’il est sans cesse renouvelé avec courage, cet amour sera protégé. Les épreuves et difficultés ne représenteront alors aucun danger pour l’amour des époux, au contraire, elles le consolideront et le confirmeront. Le sacrifice partagé les unira profondément.

Aimer et être aimé

L’homme et la femme trouvent leur épanouissement dans le fait d’aimer et d’être aimés. Il en est de même pour leurs enfants, fruits de cette union, qui auront besoin d’affection, de joie et d’enthousiasme, dans le foyer où ils grandiront. Vis-à-vis des enfants aussi, les parents ont le devoir de s’aimer mutuellement, de rester unis, dans un souci quotidien de perfection.

Ainsi les époux comprennent que la sainteté ne consiste pas seulement à accomplir des actes de piété, mais à faire preuve d’indulgence, de patience, de pardon, d’oubli de soi-même pour l’autre, laissant l’amour de Dieu guider leur vie entière.

L’amour est exigeant

Comme le dit saint Paul, l’amour est patient, rend service et supporte tout. Seul celui qui sait être exigeant pour lui-même, au nom de l’amour, peut demander de l’amour en retour. C’est dans cet amour exigeant que se trouve le fondement, la solidité de la famille : il supporte tout, il n’est pas hautain ni envieux, il croit tout, il espère tout, il endure tout. Dans un tel amour agit la grâce du Christ Rédempteur et Sauveur du monde.

La conception chrétienne du mariage suppose une harmonisation de l’union physique et affective avec l’union spirituelle et surnaturelle. S’il n’y a pas une union de ces quatre aspects, le mariage perdra sa stabilité.

Le perfectionnement de cet amour conjugal durera des années… Il est sans fin. Mais ce seront des années heureuses si l’on fait l’effort de surmonter les frictions, les difficultés, les incompréhensions, Dieu veuille que ce soit toujours avec le sourire, même si parfois cela coûte beaucoup ! Il est naturel que ce ne soit pas facile, ni tout rose. Il ne faut donc pas s’accabler lorsque tout semble s’effondrer. Il convient de toujours lutter, vouloir être heureux en rendant l’autre heureux, conquérir le bonheur. Souvent, grâce à un regard serein, une montagne insurmontable devient un petit col, dont le franchissement redonne un courage purifié de l’égoïsme.

La grâce sacramentelle n’est pas donnée seulement pour le jour des noces. Le mariage est une source continuelle de grâces ! Si les époux sont fatigués et pensent qu’il est impossible de persévérer, ils devraient s’en souvenir et demander à Dieu de raviver la force de la grâce qui est en eux.

Avec la grâce, la charité augmente et, enracinée dans la foi surnaturelle, elle donne à l’homme une capacité inaccessible par ses propres moyens et devient une réalité divine dans l’âme de vie intérieure. Saint Paul exprime le contenu de cette vertu en disant : « La charité est patiente, la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse, ni fanfaronne, ni orgueilleuse, ni blessante, elle ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne garde pas rancune du mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, elle met au contraire sa joie dans la vérité ; elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. » (1 Co 13,4-7)                  

Dans le mariage, pour conserver et même augmenter leur amour conjugal, les époux seront donc attentifs à ne pas dissocier les quatre  aspects de leur amour :  l’amour physique, l’amour émotionnel, l’amour des idéaux et l’amour surnaturel, en pensant continuellement que la grâce reçue le jour béni de leur mariage ne meurt jamais.

 

Sophie de Lédinghen

 

Se sanctifier pour le salut des autres

Se sanctifier personnellement sans autre préoccupation que son propre salut, sans souci du salut de son prochain est une fausse conception de la vie chrétienne. Chercher la perfection égoïstement, c’est oublier la grande loi de charité et de solidarité chrétienne. « Aimer Dieu » et « aimer son prochain » sont deux commandements semblables.

Notre devoir absolu est de sauver notre prochain en même temps que nous nous sauvons nous-mêmes. Nous ne pouvons pas concevoir une âme vraiment chrétienne qui se désintéresserait du salut des autres. Aimerions-nous que Dieu nous pose la même question qu’à Caïn « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

Pour que notre vie spirituelle soit conforme à la charité, il est nécessaire que soit implantée au fond de notre âme la certitude que Dieu a créé par amour tout homme sans exception. Pour être parfait comme notre Père est parfait, il nous faut les aimer tous indistinctement. La charité exige que les deux époux de notre foyer soient décidés au salut du prochain comme nous le sommes à assurer le nôtre. Tous, enfants du même Dieu, nous devons contribuer à notre sanctification mutuelle en vue de notre salut commun.

« Le sel de la terre »

Le salut n’est donc pas une œuvre individuelle puisque l’action des chrétiens du monde entier est comparée par Notre-Seigneur au sel qui donne le goût aux aliments. La vie humaine est fade, pleine d’embûches et de contradictions. Elle n’aurait aucun sens tant qu’on ignore le plan divin : devenir le sel de la foi et de la sagesse chrétienne. Ces paroles du Christ nous invitent à nous sanctifier pour que la vie spirituelle se communique en quelque sorte au monde entier. Pour donner la vie, il faut être vivant. C’est pourquoi seront rejetés ceux qui auront reçu les lumières de l’enseignement religieux et n’auront pas su s’en servir pour en vivre et le répandre autour d’eux, qui n’auront pas su changer d’âme et conformer leurs sentiments et leur conduite à l’enseignement reçu.

Les pharisiens ont reçu le sel de la foi, mais n’ont pas su en garder la saveur. Leur faux zèle leur vaut de la part de Jésus les pires sévérités. C’est donc qu’Il considère que, par leur orgueil, leur matérialisme religieux, par la transformation de la vie spirituelle en pratiques purement cultuelles et extérieures, ils ont affadi le sel qu’ils étaient. Ils sont devenus inutiles, voire dangereux.

Si nous ne voulons pas laisser s’affadir le sel que nous sommes, il nous faut constamment vérifier nos dispositions : voir comment nous pratiquons les enseignements de Jésus-Christ, si nous vivons notre foi sans nous contenter des pratiques extérieures, si notre zèle apostolique est désintéressé et n’est pas un moyen de nous imposer aux autres par esprit de domination ou volonté orgueilleuse.

« La lumière du monde »

Que votre lumière brille donc devant les hommes pour qu’ils puissent voir vos bonnes œuvres et rendre gloire à Dieu qui est dans les cieux. Nos bonnes œuvres sont les fruits qui permettent à nos frères de découvrir la valeur de l’arbre, et de conclure que le Dieu auquel nous croyons est également bon ! Si le disciple ressemble au figuier maudit (arbre ayant beaucoup de feuilles magnifiques, mais sans fruit), il est inutile et bon pour le feu. Les belles paroles ne suffisent pas ! Seuls les croyants qui se sanctifient seront la lumière du monde. Leur vie sera la lumière qui luit dans les ténèbres.

« L’aveugle qui conduit un aveugle »

Si un aveugle conduit un autre aveugle, enseigne Jésus, l’un et l’autre tomberont dans le fossé. Les pharisiens prétendent convertir le monde, imposent à tous leur façon de voir et sont aveuglés au point de voir dans Jésus un possédé au lieu du Messie attendu. Ils entraînent dans leurs errements ceux qui les suivent, et tous se perdent.

Que les chrétiens soient éclairés s’ils ont la prétention de conduire les autres. Avant de voir la paille dans l’œil du prochain, il faut que nous voyions la poutre dans le nôtre ! Seuls les cœurs purs verront Dieu et aideront les autres à le voir.

 

« Je suis la vigne et mon Père est le vigneron »

Si Jésus est la vigne dont nous sommes les sarments, rappelons-nous que le vigneron tranche les sarments qui ne portent pas de fruits et les jette au feu. Il émonde au contraire ceux qui portent déjà des fruits pour qu’ils en portent davantage. La même sève coule dans nos veines et dans celle de Jésus. C’est pourquoi il nous faut demeurer en Lui pour qu’Il demeure en nous. Le sarment ne peut porter du fruit par lui-même, mais seulement s’il demeure uni à la vigne. Sans Jésus nous ne pouvons rien. Cette union est d’autant plus utile que ce n’est pas notre vie qui sauvera les autres, mais la vie de Jésus-Christ.

C’est par cette union à Jésus-Christ que nous sommes instruments de conversion, et que notre prière et nos actions seront efficaces auprès de notre prochain. Il ne s’agit pas de porter du fruit avec orgueil, ou pour s’assurer égoïstement le Ciel, mais pour que Dieu soit glorifié par notre intermédiaire.

Il n’y a donc pas, à proprement parler, de méthode d’apostolat. La pédagogie remarquable des enseignements de Notre Seigneur suffit ! Il y a seulement la sainteté qui éclaire et l’amour qui enflamme.

L’âme sainte plaît à Dieu ; elle vit avec Lui dans une intimité de tous les instants. Elle lui parle, elle l’implore, elle lui demande des grâces, et Jésus les lui obtient parce que Dieu n’a rien à refuser à ses amis.

Sophie de Lédinghen

 

Inspiré de : Quelques principes de vie et d’action chrétienne (Abbé Jean Viollet)