Fruit de ce mystère : Le désir du Ciel
Une fois encore ils sont tous réunis
dans la chambre haute, autour de la table, pour le repas.
Une fois encore, ils le contemplent
avec le sentiment poignant qui précède les départs, quand ce bonheur d’être
ensemble touche à son terme !
Quarante jours ont passé depuis la
semaine bouleversante. Et, en ces quarante jours, que de fois Il est venu à
l’improviste, le Maître toujours attendu. Il est venu à l’aube, dans le petit
jour de la grisaille d’un matin, au lac de Tibériade, quand les pêcheurs
étaient las d’une nuit passée à tirer les filets vides… Il était là sur la
grève, attendant les pêcheurs fatigués, ayant préparé des poissons cuits sur le
feu…
Maintenant toutes ces choses sont
passées. Il n’y a plus qu’à suivre le Maître dans sa dernière course terrestre.
Comme il est simple le récit des Ecritures : « Il leva les mains au ciel pour les bénir, et ils le virent s’élancer dans les airs sans qu’ils puissent expliquer comment, et une nuée le déroba à leurs yeux. »
Et ils restent là, les yeux perdus,
avec, en eux, une étrange joie mêlée de douleur. Il y a peu de temps, ils l’ont
couché au tombeau dans les larmes et la détresse en croyant son œuvre morte en
même temps que Lui. Maintenant, ce départ dans la majesté !… Mais un
départ quand même ! Avec tout ce qu’il y a d’émouvant dans les départs
dont on ignore la durée.
Mais voici que des nuées d’où il a
disparu, voici qu’à ceux qui restent les yeux en l’air, comme aspirés par cet
infini qui leur dérobe les secrets divins, apparaissent deux anges aux
vêtements éblouissants : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous à
regarder en haut ? Ce Jésus enlevé au ciel, loin de vous reviendra un jour
de la même manière… » Alors, dit l’Ecriture, ils redescendirent.
Fruit du Mystère : Le désir de la vie montante.
Ce n’est pas tout de regarder Jésus
monter au ciel, n’est-ce pas Vierge Marie ? L’essentiel, c’est de prendre
du courage pour le suivre, d’imiter les apôtres qui revinrent à Jérusalem, non
dans la mélancolie si naturelle des séparations humaines mais avec cette joie
haute et surnaturelle qui marque le progrès d’une âme. Moi aussi, je dois avoir
une vie montante, moi aussi, je dois faire de chacun de mes jours comme une
ascension perpétuelle, une marche généreuse à la suite de Jésus-Christ.
Et il faut bien que je le désire
fortement pour éviter l’écueil des vies stationnaires, lorsque la jeunesse est
passée avec ses bondissements qui font de chaque matin un nouveau départ. Un
beau jour, sans s’en apercevoir, on s’installe dans ses meubles et on laisse
aux autres le soin de courir les grandes routes et les belles aventures. On confond
la paix intérieure –cette fermentation généreuse de la vie- avec un
assouplissement progressif du désir et des générosités. On se croit devenu sage
parce qu’on a coupé les ailes à ses désirs généreux. On vit de ses vertus
acquises, capital qui s’effrite, hélas ! bien vite…
Que je ne me crois jamais
« arrivée », Vierge Marie, parce que j’ai certaines habitudes
chrétiennes de messe du dimanche, du chapelet dans ma poche, de cette lecture
du soir, de ces mots que je prononce –est-ce toujours en y pensant
vraiment ?- de certains gestes souvent machinaux… Ne suis-je pas en ce
moment, -justement à cause de ces habitudes acquises et qui, sans que je m’en
doute, ont doucement tourné à l’inerte routine- en train de m’acheminer vers
les pensées du pharisien ? Je sens, je sens profondément quel danger
subtil me menace, de me contenter des apparences et de ne plus voir qu’en moi
peut-être, le rameau est déjà détaché de la branche… Vierge Marie, que je ne
sois pas ce pharisien retors qui se rassure en lui-même à cause de
l’observation de la loi !
Ce danger qui me guette, préservez-m
’en, Vierge Marie et si je récite mon Rosaire, ce n’est pas pour me rassurer
sur ma vertu, mais pour lever les yeux vers ce monde éternel qui doit devenir
ma demeure définitive.
Ce monde d’ici-bas, vous n’avez fait
que nous le prêter mon Dieu. Vous ne voulez pas que nous nous complaisions à dire comme le
poète : « C’est ici ma maison, mon champ et mes amours. » Vous
ne voulez pas que cet instinct de construire du durable, qui est si fort en
nous, se trompe. Le durable, ce n’est pas pour ce monde, c’est pour l’autre.
Faites que je ne m’attarde pas dans ce monde comme dans une demeure éternelle.
Faites que je ne sacrifie jamais rien des biens spirituels aux biens
périssables. Que je ne sois jamais retenue dans mes élans par ces ronces menues
et tenaces des choses que je possède. Mon foyer, ma maison, mes amis, mes
enfants, ma fortune… Mon Dieu, vous nous avez prêté les choses de la terre.
Que je me sente toujours disponible à leur égard pour être seulement toute à
vous.
Et parce que nous avons tellement la
tentation de nous cramponner à ce que vous nous donnez, il est bon, mon Dieu
que, de temps en temps, l’orage secoue notre demeure terrestre pour nous forcer
de nouveau à lever les yeux vers le ciel. Il est bon à notre âme que des amis
s’en aillent, que des êtres chéris nous précèdent dans l’au-delà, que des mains
serrées se dénouent… Déchirement !… Libération !… Que nous
serions légers dans notre course vers Vous si nous n’étions pas alourdis par
tant de bagages inutiles.
Je ne vous demande pas, mon Dieu, de
faire passer sur ma vie les grands orages dévastateurs… Je ne suis qu’une
pauvre femme et j’ai besoin des choses que votre bonté m’a données, mais que je
sache les oublier pour penser à Vous et aux autres, que je sache mettre mon
cœur là où est mon trésor, là où ni la rouille ni les voleurs ne pourront
l’atteindre.
Faites-moi passer, mon Dieu, du plan
humain au plan surnaturel. « Ne restez pas là les yeux en l’air »,
dirent les anges aux disciples immobiles, c’est-à-dire comprenez les choses
comme Dieu les comprend.
Apprenez-moi à juger les choses de la
vie, non par la commune mesure humaine, mais avec les mesures de l’éternel. A
voir avec votre regard et non avec le mien. A ne pas m’enliser dans mes propres
conceptions, mes propres jugements, que je défends parfois avec une violence
agressive. A ne pas arranger ma vie et celles des autres selon mon désir, mais
selon le Vôtre. A être tous les jours, non comme la bouée amarrée au port, mais
comme le beau voilier aux ailes frémissantes, prêt à prendre le large au
moindre souffle du ciel…
Que je sois docile à votre souffle, ô
mon Dieu, que je sois transparente à votre lumière pour qu’à travers moi, elle
atteigne les autres qui me sont confiés. Que je vous trace en moi-même ce
chemin libre par lequel Vous pourrez passer « pour faire en moi votre
demeure ! »
Vierge Marie, en ce soir de ma journée humaine où je médite sur le mystère de l’Ascension, obtenez-moi toutes les grâces de perfection pour que ma vie soit une vie montante.
D’après Paula Hoesl